« Voyage au bord de la guerre » d’Antonin Peretjatko : un road movie émouvant dans l’Ukraine en guerre – L’Humanité
Celles et ceux qui ont aimé la Fille du 14 juillet et la Loi de la jungle, les deux premiers longs métrages de fiction d’Antonin Peretjatko, pourront être déroutés par Voyage au bout de la guerre. Quoique, à bien y réfléchir, ce bref documentaire recèle le même humour absurde, contrepoison à une situation dramatique.
En mai 2022, le cinéaste est parti en Ukraine avec Andreï, ami qui l’a aidé à pénétrer le quotidien du pays en guerre. Ils y retourneront en hiver, alors que la réalité du conflit est beaucoup plus visible. Des impacts de balles trouent les clôtures des maisons, des carcasses de voitures s’empilent, l’empreinte des cadavres gelés par le froid marque encore les rues.
D’origine ukrainienne par son grand-père, Antonin Peretjatko aurait pu faire un film nostalgique sur la mémoire familiale et l’exil. Il a choisi au contraire de documenter l’Ukraine au présent, en partageant le quotidien de celles et ceux qui résistent à l’ogre russe.
Pour donner une ampleur au propos sans prétendre à l’exhaustivité, le film s’ouvre sur « cinq minutes de Russie », des images d’un voyage effectué en 2010 à bord du transsibérien, train mythique dont les passagers sont souvent des militaires. Les repas continuent d’y être servis à l’heure de Moscou, quel que soit le fuseau horaire traversé, ce qui en dit long sur l’impérialisme et le centralisme du pouvoir.
Oleksandr Kniga, directeur du Théâtre de Kherson
Passé ce prologue, le film part, carte à l’appui, à la rencontre de plusieurs personnages. Igor, miraculé qui a fui Kharkiv in extremis, part s’installer en Allemagne. Alex, qui a quitté précipitamment Marioupol après le bombardement du théâtre et qui s’offusque de l’insouciance des habitants de Lviv, alors que « le reste du pays est en train de crever ».
Lors du second voyage, Antonin et Andreï recueillent le témoignage d’Oleksandr Kniga, directeur du théâtre de Kherson, enlevé par les Russes dès les premiers jours de l’occupation pour le forcer à collaborer, ce qu’il a refusé. Libéré grâce à une mobilisation internationale, il a échappé à la mort, contrairement au chef d’orchestre de la ville, abattu par l’occupant.
Singulier par sa forme et sa narration, Voyage au bord de la guerre détonne par une facture à l’ancienne qui contraste avec « la façon de penser que nous impose le numérique ». Armé d’une petite Bolex, une caméra 16 mm qui impose de changer très souvent de pellicule, Antonin Peretjatko a travaillé à partir de cette contrainte et ajouté au montage une voix off au son patiné, qui donne au film une valeur d’archive contemporaine.
S’il élude assez rapidement la piste de l’enquête familiale, le cinéaste propose une réflexion plus large sur l’effacement de la mémoire en montrant des photographies poinçonnées pour faire disparaître les visages, qu’il s’agisse d’annuler les opposants comme le faisait le régime soviétique ou de détruire des archives compromettantes. C’est précisément ce caractère indécis, cette errance parmi les fantômes des morts et des exilés, qui donne à ce road-movie sa valeur universelle.
En voyant défiler, en travelling, les ruines, les villes dévastées, les files interminables de voitures qui attendent de passer la frontière, on pense à d’autres guerres, d’autres histoires, et notamment à Gaza, dont la tragédie a fait passer celle l’Ukraine au second plan.
Voyage au bord de la guerre, d’Antonin Perejtako, France, 1 h 2, sortie en salles le 18 juin 2025.
Au plus près de celles et ceux qui créent
L’Humanité a toujours revendiqué l’idée que la culture n’est pas une marchandise, qu’elle est une condition de la vie politique et de l’émancipation humaine.
Face à des politiques culturelles libérales, qui fragilisent le service public de la culture, le journal rend compte de la résistance des créateurs et de tous les personnels de la culture, mais aussi des solidarités du public.
Les partis pris insolites, audacieux, singuliers sont la marque de fabrique des pages culture du journal. Nos journalistes explorent les coulisses du monde de la culture et la genèse des œuvres qui font et bousculent l’actualité.
Aidez-nous à défendre une idée ambitieuse de la culture !
Je veux en savoir plus !
Auteur : Sophie Joubert
Aller à la source