Vincent Rigaud (Ifremer) : « Les grands fonds marins, un enjeu stratégique majeur »

Analyse Stratégique & Géopolitique

Du 17 au 25 juin, le 89e cycle Intelligence économique et stratégique (IES) de l’IHEDN se tiendra à Marseille. Les auditeurs seront notamment reçus un après-midi pour la visite du site de La-Seyne-sur-Mer (Var) de l’Ifremer. À cette occasion, Vincent Rigaud, directeur par intérim des centres Méditerranée et Atlantique, détaille les missions de cet institut public et revient sur l’importance géopolitique croissante des câbles sous-marins, qui sera étudiée par les auditeurs.

POURRIEZ-VOUS NOUS PRÉSENTER L’IFREMER, SES MISSIONS PRINCIPALES ET PLUS PARTICULIÈREMENT LES ACTIVITÉS LIÉES A L’EXPLORATION ET À LA SURVEILLANCE DES GRANDS FONDS MARINS ?

L’Ifremer, établissement public de recherche marine à caractère industriel et commercial depuis plus de 40 ans, joue un rôle essentiel dans la compréhension des océans et le développement durable de l’économie bleue. Il intervient sur l’ensemble des milieux marins — du littoral aux grands fonds — en s’appuyant sur des technologies de pointe pour collecter et analyser les données.

Parmi ses missions stratégiques, l’exploration et la surveillance des grands fonds marins occupent une place centrale. Ces activités reposent sur la Flotte océanographique française, opérée par l’Ifremer, qui comprend notamment quatre navires hauturiers ainsi que plusieurs engins d’exploration profonde, habités ou robotisés, capables d’intervenir jusqu’à 6 000 mètres de profondeur. L’un des plus récents, l’AUV Ulyx, se distingue par son autonomie et son intelligence embarquée.

C’est à La-Seyne-sur-Mer que sont conçues, développées et opérées ces technologies sous-marines de pointe. Ce site constitue un véritable pôle d’excellence en ingénierie et innovation pour les systèmes d’exploration des grands fonds. Il joue également un rôle clé dans la mise en œuvre du programme EXTRAPLAC, visant à étendre la Zone économique exclusive (ZEE) française, ainsi que dans la gestion des permis d’exploration minière délivrés par l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM).

Vincent Rigaud, directeur par intérim des centres Méditerranée et Atlantique de l’Ifremer.

QUELS SONT LES PRINCIPAUX ENJEUX SCIENTIFIQUES, ENVIRONNEMENTAUX ET STRATÉGIQUES LIÉS À LA CONNAISSANCE ET À LA SURVEILLANCE DES GRANDS FONDS AUJOURD’HUI ?

La connaissance et la surveillance des grands fonds marins constituent aujourd’hui un enjeu mondial de premier ordre, à la croisée des dimensions scientifique, environnementale et géopolitique. Ces enjeux sont mis en lumière lors de l’UNOC 3 à Nice.

Sur le plan scientifique, les grands fonds restent l’un des derniers territoires inexplorés de la planète. Leur étude permet de mieux comprendre le fonctionnement global de l’océan, les écosystèmes extrêmes et les processus géologiques profonds. Ces recherches sont essentielles pour affiner les modèles climatiques, car les abysses jouent un rôle clé dans la régulation du climat, notamment à travers le stockage du carbone et la circulation océanique profonde.

D’un point de vue environnemental, ces milieux abritent une biodiversité exceptionnelle, souvent encore inconnue, mais aussi particulièrement fragile. Leur exploration soulève des questions cruciales de préservation, face aux pressions croissantes liées à l’exploitation des ressources minérales, à la pollution ou aux effets du changement climatique. Une surveillance rigoureuse est indispensable pour anticiper et limiter les perturbations irréversibles.

Enfin, les grands fonds marins sont devenus un enjeu stratégique majeur. Ils concentrent des ressources critiques — métaux rares, nodules polymétalliques, encroutements cobaltifères, hydrates de méthane — qui suscitent un intérêt croissant dans un contexte de transition énergétique et de tensions sur les chaînes d’approvisionnement. La maîtrise des technologies d’exploration et de surveillance constitue ainsi un levier de souveraineté scientifique, économique et diplomatique. Elle s’inscrit dans un cadre international complexe, encadré notamment par l’AIFM, où les États cherchent à défendre leurs intérêts tout en respectant les principes du droit de la mer.

Les grands fonds marins ne sont donc plus seulement un objet de recherche : ils sont désormais au cœur des équilibres environnementaux, énergétiques et géopolitiques du XXIe siècle.

LES CÂBLES SOUS-MARINS SONT ESSENTIELS À NOS COMMUNICATIONS NUMÉRIQUES. QUEL RÔLE JOUENT-ILS DANS L’INFRASTRUCTURE MONDIALE, ET POURQUOI SONT-ILS DEVENUS UN ENJEU STRATÉGIQUE MAJEUR ?

Du point de vue de l’Ifremer, les câbles sous-marins, bien qu’en dehors de son champ d’intervention direct, illustrent parfaitement à quel point les grands fonds marins sont devenus un espace stratégique de premier plan. Invisibles mais essentielles, ces infrastructures assurent plus de 95 % du trafic mondial de données, soutenant l’ensemble des communications numériques, les échanges économiques et les services critiques à l’échelle mondiale.

Leur déploiement, leur maintenance et leur sécurisation soulèvent aujourd’hui des enjeux majeurs en matière de souveraineté numérique, de cybersécurité et de géopolitique. Le contrôle des routes sous-marines et des points d’atterrissement devient un levier d’influence stratégique, dans un contexte de rivalités croissantes entre puissances.

En tant qu’institut opérant dans les zones les plus profondes de l’océan, l’Ifremer est particulièrement attentif à cette évolution. Elle confirme que les grands fonds ne sont plus uniquement un domaine de recherche scientifique, mais un territoire d’intérêt stratégique, où se croisent enjeux technologiques, économiques et politiques.

Les technologies d’exploration des grands fonds sont, par nature, à double usage. Dans ce contexte, les innovations développées à l’Ifremer trouvent des applications dans d’autres secteurs, notamment celui de la défense. Par ailleurs, l’émergence des technologies de « smart cables » représente une opportunité précieuse pour observer en continu les phénomènes sismiques et géologiques.

C’est pourquoi l’Ifremer salue pleinement l’approche portée par la 89e session d’intelligence économique et stratégique, qui vise à former les décideurs à une lecture globale et structurée de ces enjeux. Car mieux comprendre les dynamiques à l’œuvre dans les grands fonds, c’est aussi mieux anticiper les risques et défendre les intérêts stratégiques de la France dans un monde de plus en plus numérisé.

DANS UN CONTEXTE OU LES CÂBLES SOUS-MARINS CRISTALLISENT DES ENJEUX À LA FOIS TECHNOLOGIQUES, ÉCONOMIQUES ET GÉOPOLITIQUES, COMMENT PERCEVEZ-VOUS L’INTÉRÊT DE FORMER DES DÉCIDEURS PUBLICS ET PRIVÉS À UNE APPROCHE STRATÉGIQUE ET STRUCTURÉE DE CES SUJETS, À TRAVERS UNE MÉTHODOLOGIE EN INTELLIGENCE ÉCONOMIQUE ?

Du point de vue de l’Ifremer, la montée en puissance des enjeux liés aux câbles sous-marins s’inscrit dans une dynamique plus large de maîtrise stratégique des espaces maritimes, essentielle à la souveraineté de la France. Bien que l’Ifremer ne soit pas directement impliqué dans la gestion de ces infrastructures, son expertise, notamment en intervention en milieu profond, lui permet d’appréhender pleinement les défis techniques et géopolitiques qu’ils soulèvent.

Dans un contexte où les fonds marins deviennent un théâtre de compétition internationale, la capacité à comprendre, anticiper et sécuriser les intérêts français repose sur une formation renforcée des décideurs, qu’ils soient publics ou privés. L’intelligence économique constitue à cet égard un outil précieux : elle permet de décrypter les rapports de force, d’identifier les vulnérabilités et d’éclairer les choix stratégiques.

Le cycle Intelligence économique et stratégique (IES) répond pleinement à cet objectif. Il offre une vision d’ensemble structurée, croisant les dimensions technologiques, économiques et géopolitiques, et renforce la capacité d’action de la France dans un environnement sous-marin de plus en plus sensible.

Cette montée en compétence collective est un levier indispensable pour garantir une présence française crédible et souveraine dans les grands fonds.

LE 89E CYCLE IES DE L’IHEDN PREND LES CÂBLES SOUS-MARINS COMME FIL CONDUCTEUR D’UN TRAVAIL COLLECTIF D’ANALYSE ET DE MISE EN SITUATION. QUE VOUS INSPIRE CETTE DÉMARCHE PÉDAGOGIQUE QUI, À TRAVERS UN CAS CONCRET, VISE À OUTILLER LES AUDITEURS POUR PENSER ET AGIR DANS UN MONDE DE PLUS EN PLUS INTERDÉPENDANT ET EXPOSÉ ?

La démarche pédagogique de ce cycle, centrée sur les câbles sous-marins, s’avère particulièrement pertinente dans un contexte mondial marqué par des interdépendances technologiques et géopolitiques croissantes. En s’appuyant sur un cas concret à forte portée stratégique, ce cycle permet aux auditeurs d’acquérir une compréhension approfondie des enjeux contemporains, tout en s’exerçant à la prise de décision dans des environnements complexes.

Pour un institut comme l’Ifremer, dont les expertises sont ancrées dans les environnements maritimes, cette approche favorise des échanges riches et transversaux entre scientifiques, ingénieurs, décideurs publics et acteurs économiques. Elle permet de croiser les perspectives, de confronter les logiques d’action et de renforcer une culture commune de l’anticipation et de la souveraineté.

Au-delà de la seule thématique des câbles, cette mise en situation illustre pleinement l’ambition nationale du cycle IES : doter les décideurs des outils nécessaires pour penser et agir stratégiquement, dans un monde où la maîtrise de l’information, des infrastructures et des ressources constitue un enjeu de puissance.

Les prochains cycles IES de l’IHEDN :

Le 90e cycle IES se tiendra à l’École militaire (Paris) du 7 au 15 octobre 2025.

En 2026, plusieurs sessions sont déjà programmées :

  • 91e cycle : du 20 au 28 janvier à Paris
  • 92e cycle : du 14 au 22 avril à Paris
  • 93e cycle régional : du 26 mai au 3 juin à Toulouse
  • 94e cycle : du 6 au 14 octobre à Paris

Les inscriptions sont ouvertes. Ces formations sont éligibles au CPF.

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Auteur : tanguy.morel@ihedn.fr

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Cédric

Depuis 1998, je poursuis une introspection constante qui m’a conduit à analyser les mécanismes de l’information, de la manipulation et du pouvoir symbolique. Mon engagement est clair : défendre la vérité, outiller les citoyens, et sécuriser les espaces numériques. Spécialiste en analyse des médias, en enquêtes sensibles et en cybersécurité, je mets mes compétences au service de projets éducatifs et sociaux, via l’association Artia13. On me décrit comme quelqu’un de méthodique, engagé, intuitif et lucide. Je crois profondément qu’une société informée est une société plus libre.

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