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Trump promoteur du chaos, Poutine de s’en réjouir et les Européens de réagir

Aucune amorce de cessez-le-feu en Ukraine contrairement à ce que Trump laissait entrevoir

Loin d’un arrêt des combats en Ukraine que laissait entrevoir Donald Trump dans ses « fantastiques discussions » avec certains des protagonistes de cette guerre, la situation sur le terrain est une continuation de la guerre d’usure et de destructions que mène la Russie depuis plus de trois ans. Et cette dernière continue d’avancer à pas de fourmi, elle n’a conquis que 250 km2 de territoire ukrainien en février 2025 d’après le très précis War Mapper à comparer avec les 604 000 km2 de sa proie.

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Koursk bloque encore l’échiquier des négociations

Très loin d’un cessez-le-feu, la Russie a accéléré ses opérations pour récupérer la poche de Koursk dont les Ukrainiens s’étaient emparés par surprise de quelques centaines de km2 en août 2024. A ce stade, il est acquis que cette « poche de Koursk » qui aurait pu être une carte de négociation est tombée.

Les Ukrainiens ont été forcés de l’abandonner, en particulier du fait que Trump ait coupé brutalement leur accès au renseignement américain, vital dans une période de contre-offensive russe. La seule incertitude qui demeure est l’ampleur des pertes et le fait que des soldats ukrainiens pourraient être toujours présents dans la zone reconquise par les Russes. Leur destinée serait alors largement menacée d’autant que certains militaires ukrainiens ont du mal à accepter de devoir se replier après de tels efforts pour conserver cette conquête en Russie même.

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Il apparaît évident désormais que Poutine n’a jamais eu l’intention de négocier une once de ce territoire russe, ce qui serait une humiliation pour lui et affaiblirait son pouvoir qui repose en premier lieu sur la peur qu’il inspire.

Lire aussi : Koursk est tombé, livré à Poutine par Donald Trump ?

La situation de Koursk étant désormais scellée, les discussions sur un cessez-le-feu (temporaire) reprennent en Arabie saoudite le 23 mars. Elles seront manifestement difficiles tandis que la trêve sur les infrastructures énergétiques annoncée par Trump la semaine précédente n’a été qu’un leurre, une Trumperie supplémentaire d’un président américain qui confond ses désirs et la réalité, ses annonces et la vérité. Des annonces portées par l’entourage de Trump (mais pas par mes sources militaires) et relayées en particulier par l’empire médiatique et erratique d’Elon Musk.

Des négociations serrées, Poutine n’a pas de marche arrière mais il a besoin de victoire pour le 9 mai

Un cessez-le-feu va probablement être trouvé, dans les jours ou les semaines qui viennent, les alliés de l’Ukraine en sont désormais convaincus et travaillent sur les conséquences de cette trêve qui globalement concèdera une forme de victoire à Poutine. En effet, si Poutine n’a pas de marche arrière, le « maître du Kremlin » a néanmoins besoin d’afficher une victoire pour la 80éme commémoration de la « Grande victoire contre le nazisme » par l’URSS dont il est le dangereux héritier.

Et seul Trump peut lui accorder aujourd’hui une telle victoire alors que Poutine est totalement enlisé dans cette guerre qu’il a pourtant déclenchée. Trump et Poutine ont donc intérêt à converger, pour illustrer leur puissance fantasmée. Il leur faut trouver de quoi impressionner les autres à défaut de démontrer, pour convaincre que la loi du plus fort s’impose désormais et qu’ils sont les plus forts.

Les Européens préparent de quoi sécuriser ce cessez-le-feu à venir

Dans un premier temps, assez court de quelques semaines à plusieurs mois, les Européens et quelques pays hors continent qui soutiennent l’Ukraine comme le Canada et la Nouvelle-Zélande se sont fixés deux objectifs pour sécuriser l’Ukraine. D’une part, ils veulent renforcer l’armée ukrainienne et son industrie de défense, ce qui n’est pas simple dans un contexte militaire où ce sont les bras qui manquent le plus aujourd’hui. En cas de cessez-le-feu, il faudra paradoxalement aux Ukrainiens réduire leur armée et la renforcer, notamment en l’organisant et en l’équipant mieux.

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Live du journal le Monde

Structurellement l’Ukraine ne représentera jamais que le cinquième de la société russe en termes de population. Et s’ils étaient seuls face à une nouvelle offensive russe, les Ukrainiens seraient d’autant plus menacés qu’ils ne pourraient pas se fier aux « garanties » américaines dont Trump a détruit la confiance qu’on pouvait leur accorder.

Une force militaire de sécurisation de l’Ukraine serait alors essentielle pour dissuader la Russie de reprendre la guerre à son envie, en opposant à toute nouvelle agression la nécessité de s’en prendre à l’ensemble des pays représentés. Cette « coalition des volontaires » que structurent aujourd’hui la France et la Grande-Bretagne a vocation à être coordonnée par l’OTAN dont c’est le rôle originel, tout en se garantissant de pouvoir s’en affranchir si Trump trahissait une fois encore les alliés des Etats-Unis.

Cette force aura des composantes terrestres, aériennes et maritimes, avec un fort système de renseignement capable notamment d’observer la ligne de front (1 200 km + 1 000 km de frontière directe avec la Russie) et d’anticiper les manœuvres russes, ce que les Américains sont capables de fournir aujourd’hui. Cette force aura aussi comme caractéristique de pouvoir durer dans le temps, probablement plusieurs années pour commencer, ressemblant étrangement au dispositif déployé en Allemagne de l’Ouest après la Deuxième Guerre Mondiale pendant presque 50 ans…

Quand l’enjeu principal des Européens est de se réarmer en profondeur et dans le temps

En complément de la sécurisation de l’Ukraine, les Européens se mobilisent aussi pour construire une défense cohérente face à la menace que représente la Russie de Poutine. Ce dernier a déjà annoncé qu’il allait consacrer un tiers de sa dépense publique au renforcement de son armée. Nul besoin d’avoir « fait Saint-Cyr » pour comprendre que Poutine agit ainsi non pas parce qu’il se sent menacé mais bien pour reprendre ses « guerres de libération ». Dans son esprit en effet, la guerre contre l’Ukraine serait destinée à libérer les populations attachées à la Russie et dont Poutine détermine seul leurs désirs…

Trois domaines sont essentiels pour assurer la défense de l’Europe face à l’empire menaçant qu’est devenue la Russie de Poutine. Le premier est de communautariser la plus large partie de ses 30 armées différentes en commençant par ses équipements. En effet, la plus grande faiblesse des armées européennes aujourd’hui n’est pas leur manque de moyens mais leur dispersion dans 30 structures quasi étanches qui achètent, forment et soutiennent chacune à leur manière 30 armées aussi différentes qu’incohérentes.

Encore une fois, il faut prendre l’exemple de l’armée américaine pour comprendre facilement que si elle était composée de 50 armées pour autant d’États qui composent les USA, elle ne pourrait en aucun cas constituer la première armée du monde, comme elle l’est actuellement. Les équipements communs sont probablement un des points les plus structurants pour amorcer une défense commune.

Construire des Airbus de la Défense et se concentrer sur des équipements de masse plutôt que sur l’orfèvrerie

Par analogie avec la lutte contre l’épidémie du COVID qui fut un succès européen, il convient de lancer des programmes communs d’acquisition et de fabrication d’armements en série industrielle, probablement moins perfectionnés que ce que proposent aujourd’hui des entreprises qui sont plus à la pointe de la technologie et de la dépense qu’à l’équipement d’une armée de masse capable de résister à une guerre du type de celle menée par la Russie contre l’Ukraine.

Dans ce rôle, l’union européenne peut jouer un rôle d’organisateur, notamment d’Airbus (au pluriel) de la Défense qui permettent de produire en masse des équipements relativement standardisés, ce qui est l’exact inverse des programmes actuels d’équipement organisés par chaque nation. Par exemple, quand la France s’acharne à vouloir repeindre 200 chars Leclerc, elle contribue largement à affaiblir une industrie européenne de la Défense qu’elle prétend vouloir « défendre » par ailleurs. La « souveraineté nationale » dans l’industrie comme dans l’armée est complètement dépassée, elle relève d’une génération qui n’a pas compris les enjeux que nous devons relever… ensemble.

Le premier besoin en défense est de disposer d’un système de renseignement global et performant, mais plus encore d’une culture partagée de notre sécurité

Au-delà des équipements et des armes, une défense européenne a besoin d’un système de renseignements comparable à celui des États-Unis, un dispositif global (et unifié) qui permette de voir et d’anticiper les intentions de nos ennemis. La difficulté réelle de son élaboration est – comme pour les armées – non pas de trouver des milliards supplémentaires, mais de rassembler ceux existants qui sont actuellement dispersés dans 30 systèmes de renseignements différents.

Fondamentalement, le cœur de la défense européenne réside d’abord dans une volonté commune et partagée de vouloir se défendre, « de ne pas avoir peur de se battre pour défendre la paix », cette paix à laquelle nous sommes attachés plutôt que le concept inversé que Poutine et Trump utilisent pour nous berner. C’est l’objet même de mon dernier livre, « petites leçons sur la guerre », d’apporter des réflexions accessibles à l’ensemble de notre société pour partager une culture commune de ce que nous voulons pour notre propre sécurité.

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Je voudrais terminer cet article par cette réflexion étourdissante : la guerre de la Russie contre l’Ukraine aurait pu être empêchée tout début 2022 par la simple intervention militaire en Ukraine d’une force européenne conséquente avant l’invasion russe, que les Américains avaient parfaitement prévue…

Poutine, s’il n’a pas de marche arrière, sait très bien s’arrêter quand il a plus fort que soi en face de lui. Il ne comprend d’ailleurs que le langage de la force, ce que Trump n’a pas su lui montrer jusqu’ici. Un Donald Trump confronté aujourd’hui au chaos qu’il a semé et dont Poutine abusera jusqu’à la limite. Ainsi Poutine vient-il de décréter que tous les Ukrainiens qui vivent dans les territoires conquis par les Russes ont l’obligation de devenir russes ou ils seront expulsés…

PS : à Gaza, avec l’accord et le soutien de Trump, reprise de la dévastation, étouffement de toute aide humanitaire, bombardements indiscriminés et disproportionnés, comme si cela pouvait libérer les otages après 15 mois d’une opération équivalente qui avait déjà fait au bas mot 100 000 morts. Et maintenant Benyamin Netanyahou menace tout simplement d’annexer Gaza, comme il est en train de faire pour la Cisjordanie. Est-ce que Netanyahou pourra partager le « prix Nobel de la paix » avec Trump et Poutine ?




Pour approfondir,

« Petites leçons sur la guerre », de Guillaume Ancel : savoir défendre la paix, article de Benoît Hopquin (Le Monde)


L’entretien téléphonique entre Donald Trump et Vladimir Poutine, un rendez-vous très attendu aux résultats très limités, par Benjamin Quenelle et Piot Smolar (Le Monde)


Michel Rocard, de Vincent Duclert (Éditions Passés/composés)


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Auteur : Ne Pas Subir – Blog de Guillaume ANCEL

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Cédric

Depuis 1998, je poursuis une introspection constante qui m’a conduit à analyser les mécanismes de l’information, de la manipulation et du pouvoir symbolique. Mon engagement est clair : défendre la vérité, outiller les citoyens, et sécuriser les espaces numériques. Spécialiste en analyse des médias, en enquêtes sensibles et en cybersécurité, je mets mes compétences au service de projets éducatifs et sociaux, via l’association Artia13. On me décrit comme quelqu’un de méthodique, engagé, intuitif et lucide. Je crois profondément qu’une société informée est une société plus libre.

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