Trêve russe du 8 au 10 mai en Ukraine : « Chaque camp s’efforce d’apparaître comme plus constructif que l’autre »
Un soldat ukrainien près de Kostiantynivka, dans la région de Donetsk, le 24 avril 2025. IRYNA RYBAKOVA/AFP
Interview
Vladimir Poutine a annoncé une trêve de trois jours, du 8 au 10 mai. Une manière de dire « qu’il est intéressé par les efforts américains et qu’il est prêt à accepter un cessez-le-feu », selon l’ancienne diplomate Marie Dumoulin.
Semaine cruciale pour l’Ukraine. Notamment car mardi 29 avril sera le centième jour de Donald Trump à la Maison-Blanche pour lequel le président américain aimerait se vanter d’avoir résolu le conflit, bien qu’il ait promis une solution « en 24 heures ». Par ailleurs, ce lundi 28 avril, la Russie – qui campe sur la reconnaissance de la Crimée comme lui appartenant – a annoncé une trêve de trois jours du 8 au 10 mai ; l’Ukraine a répondu en appelant à « au moins trente jours » de halte et les Etats-Unis ont dit souhaiter un cessez-le-feu « permanent ».
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Pour Marie Dumoulin, directrice du programme « Europe élargie » du think thank Conseil européen pour les Relations internationales (ECFR), l’annonce de la Russie montre son intérêt pour les efforts américains. L’ancienne diplomate ne croit pourtant pas que le conflit va se dénouer d’ici la fin de semaine, qu’importe la pression exercée par Donald Trump.
Vladimir Poutine a annoncé un cessez-le-feu sur le front en Ukraine du 8 au 10 mai. Quel crédit faut-il donner à cette déclaration ?
Marie Dumoulin Pour Vladimir Poutine, cette trêve est une manière de dire qu’il est intéressé par les efforts américains et qu’il est prêt à accepter un cessez-le-feu. Cela s’inscrit dans une forme de jeu où chaque camp s’efforce d’apparaître comme plus constructif que l’autre. Et la Russie doit se rattraper de ce côté-là, notamment vis-à-vis de Donald Trump, puisqu’il a exprimé son mécontentement sur la poursuite des bombardements en Ukraine malgré les négociations.
En plus, Vladimir Poutine utilise des dates symboliques. Il y avait eu une annonce de trêve à l’occasion de Pâques et maintenant c’est pour les commémorations de la fin de la Seconde Guerre mondiale le 9 mai. C’est une date capitale dans l’imaginaire russe : c’est l’image de la Russie victorieuse et la population y est très attachée. Ce jour est plus important que la fête nationale mais il est aussi au centre du discours de légitimation du régime de Vladimir Poutine.
La Russie et l’Ukraine ont-elles intérêt en ce moment à un cessez-le-feu sur le front, voire à signer un accord de paix ?
Pour la Russie, un accord n’a pas de coût politique majeur. Jusqu’à présent, les Etats-Unis mettent sur la table un accord qui correspond à leurs conditions. Il serait bénéfique pour la Russie, soit parce qu’il fragiliserait l’Ukraine et diviserait ses partenaires, notamment européens, soit parce que les Américains lui offriraient à l’intérieur tout ce qu’elle demande.
Si c’est un échec, la Russie aura toujours l’option militaire. Elle estime que la situation sur le champ de bataille lui est favorable et a fortiori si les Américains mettent un terme à leur assistance militaire à l’Ukraine comme ils le menacent. La Russie peut continuer à combattre, en tout cas plus longtemps que les Ukrainiens, même si, sur le terrain, ils avancent extrêmement lentement et au prix de pertes considérables.
De leur côté, les Ukrainiens ont très clairement intérêt à un cessez-le-feu ou à la paix. Et ce depuis l’invasion de février 2022 ! Mais pas à n’importe quelle condition : les propositions américaines telles qu’elles ont fuité dans la presse, c’est-à-dire notamment la non-adhésion à l’Otan ou la renonciation à la Crimée, vont être extrêmement difficiles à accepter pour les Ukrainiens. Ces derniers sont tout de même conscients que retrouver le contrôle de l’ensemble de leur territoire n’est pas un objectif réaliste à court terme. En revanche, pour eux, il est hors de question de signer un accord qui reconnaîtrait la perte de ces territoires, cela justifierait l’usage de la force. Il sera aussi extrêmement difficile pour l’Ukraine de signer sans des garanties de sécurité suffisamment dissuasives pour empêcher la Russie de réattaquer.
Donald Trump met la pression sur la Russie et surtout sur l’Ukraine, pour trouver un accord à l’occasion de ses 100 jours à la Maison-Blanche, mais est-ce la bonne solution ?
Ce n’est clairement pas le meilleur moyen d’obtenir un bon accord. Dans une négociation, mettre des limites de temps plutôt que des limites de fond, c’est risqué. Le message envoyé c’est que les Américains veulent un accord rapidement et s’en moquent du contenu. Ainsi, les Russes peuvent rester sur leurs positions en espérant qu’ils finissent soit par accepter leurs conditions, soit par quitter la table des négociations.
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Dès le départ, les Américains auraient pu mettre davantage de pression sur la partie russe pour la forcer à accepter certaines conditions. Ils ont pourtant choisi d’aborder cette négociation d’une manière complaisante à l’égard de la Russie. Peut-être qu’il s’agissait d’établir un rapport de confiance pour permettre les discussions, mais il n’en reste pas moins qu’ils ont mis plus de pression sur l’Ukraine que sur la Russie.
Il faut tout de même souligner le mérite des Américains ces dernières semaines : c’est la première fois qu’il y a une discussion de ce type-là depuis l’offensive russe en février 2022. C’est une opportunité même si elle n’est pas forcément utilisée le mieux possible par les Américains. La face du monde ne sera pas forcément transformée à la fin de la semaine.
Auteur : Benjamin Moisset
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