Veille & Flux d’Information

Sesame Acoustics – Comment répondre par l’acoustique à l’impasse capacitaire actuelle de la couteuse et complexe fonction détection/localisation

Il est
plus fréquent de mentionner la nécessité de faire autrement que de décrire concrètement
comment y arriver, notamment quand il s’agit de répondre à une impasse
capacitaire où les rendements sont décroissants du fait des coûts (quels qu’ils
soient : financiers, humains…) qui augmentent sans apporter d’avantages
tactiques décisifs.

Fondée en
décembre 2022, la start-up alsacienne Sesame Acoustics apporte des réponses aux
grandes questions que se posent tous combattants : Où est l’ennemi ? Depuis
où cela tire ? Qui tire ? Pour y parvenir, Sesame Acoustics s’appuie sur la
révolution qu’a connue ces dernières années l’acoustique, grâce à la simultanéité
de « la réduction des prix des
capteurs et des systèmes embarqués, l’augmentation de la puissance de calcul et
d’analyse des sons, et la facilité à diffuser des alertes par la connectivité
radio ».
Elle concentre surtout ses efforts là où il y a
le plus de valeur ajoutée, la couche logicielle, en s’appuyant sur des capteurs
réellement à bas coûts, de simples téléphones portables. Ils permettent d’espérer
regagner de la masse (du fait de coûts d’acquisition réduits), au service d’une plus grande efficacité de la boucle distribuée
renseignement / acquisition / neutralisation.

Pour le
développement de la solution MOSAIC (Moyen de Surveillance Acoustique
Intelligente et Connectée), il ne fût pas question de concentrer ses efforts sur
le développement du hardware, du fait du parti pris de s’appuyer sur des portables
mis en réseau. Chaque combattant peut en posséder un, comme ceux portés au
poignet ou sur des interfaces pectorales placées sur le gilet de combat ou le
porte-plaques. Ils coûtent de l’ordre de 300€ (pour ceux de la marque Crosscall,
par exemple), un investissement minimum, sont durcis pour mieux résister aux
chocs, à l’humidité et aux changements de températures, et peuvent embarquer
une batterie supplémentaire pour encore gagner en autonomie (jusqu’à 10 ou 15 jours). Dans l’armée de Terre, ils
sont utilisés aujourd’hui comme terminaux du Système d’information unique du
programme Scorpion – Débarqué (SICS-DEB). Plus globalement, de tels produits
bénéficient de l’effort de R&D de plusieurs milliers d’ingénieurs de par le
monde, qui fiabilisent ces objets du quotidien, notamment au niveau des
microphones, de la consommation d’énergie et de la transmission de données. Il
n’y a donc aucune valeur ajoutée importante atteignable rapidement via un effort de R&D. Sesame Acoustics les prends donc comme
ils sont.

Par
contre, plus de 20 ans de recherches scientifiques, notamment au sein de l’Institut
franco-allemand de recherches de Saint-Louis (ISL), l’apport de projets
RAPID (Régime d’appui à l’innovation duale) de l’
Agence Nationale de la Recherche (ANR) et des efforts de la NATO Science and Technology
Organization (STO),
sont mis au service du développement de la
couche logicielle, notamment via une application installable sur ces terminaux.
Cette suite logicielle vise
à renseigner et alerter sur la situation tactique, fournir une protection à des
positions (bases opérationnelles avancées, lignes de fronts, bivouacs…),
notamment par la détection en temps réel et la localisation de tirs et d’autres
anomalies sonores. Des algorithmes de traitement (notamment
par Intelligence Artificielle) sont directement intégrés dans ces téléphones
servant de capteurs déposés, fixés, largués ou embarqués, tous géolocalisés
nativement. Ils diffusent des informations, qui, une fois prétraitées au niveau
des capteurs, sont des paquets de seulement quelques octets. Un effort
supplémentaire de triangulation et de corrélation est ensuite réalisé à un
niveau supérieur, avec là aussi une couche logicielle dédiée, via une plateforme
d’accès aux alertes et de gestion des capteurs.
 

Ce dispositif peut s’interfacer avec les
différents systèmes de commandement et de combat (actuellement détenus ou en
cours de remplacement), qu’ils soient d’origine Atos, Thales, Impact, Systematic,
Hexagon… Ces capteurs sont agnostiques en termes de connectivité (4G, 5G,
Starlink, Eutelsat, Wifi, IOT autres, bulles dédiées, connecteurs par prises…),
et peuvent ainsi notamment se fondre dans la masse
de communications civiles ou hybrides, ce qui est parfois le meilleur gage de cybersécurité. La possibilité d’être en mode passif la
plupart du temps permet aussi une certaine discrétion, tout comme le fait de ne
pas remonter le flux acoustique complet mais seulement de l’information prétraitée, à faible valeur en tant que telle.

Les premières
applications se concentraient sur le monitoring acoustique de processus industriels,
et la détection d’anomalies ou d’incidents, via un suivi d’usines et d’autres
sites industriels. Il était possible de détecter des pièces usées de machines entraînant
des vibrations détectables acoustiquement, permettant de déterminer un lieu,
une date, une cause, etc. et d’anticiper les cycles de maintenance et les
interventions de manière préventive, avant l’arrêt forcé des lignes de
production. Et cela, même dans des ambiances à première vue saturée
phoniquement.
Face aux résultats obtenus pour des applications défense/sécurité
lors de différentes expérimentations (en France, au niveau de l’OTAN, etc.), une
telle innovation est aujourd’hui rapidement utilisable par l’ensemble des combattants.

Il s’agit
donc ici de rééquilibrer l’équation capacitaire (coûts/bénéfices) via une analyse
différente de la valeur, en ne cherchant pas à sur-optimiser des systèmes
complexes, mais en resimplifiant (garantie de la masse et de la résilience), et
en concentrant ses efforts au juste niveau.
Vus les coûts d’acquisition des
smartphones, il est possible d’imaginer une massification de leur emploi, pour
tenir des compartiments de terrain plus importants, permettant de concentrer les
efforts des moyens-feux comptés. Avec d’autres moyens, il est possible d’avoir
une situation tactique partagée enrichie, notamment via l’imagerie aujourd’hui
traitée par maints algorithmes (sur des flux vidéos de drones, des caméras de
blindés, des images satellites, etc.).
Le combat collaboratif passe donc aussi
par l’acoustique.
L’actuel chef d’état-major
de l’armée de Terre, le général Pierre Schill, indique régulièrement que chaque
combattant est aujourd’hui doté de son fusil et de son smartphone (« 
Le smartphone est un outil de combat du soldat moderne,
comme son fusil
« ), auquel il pourrait être possible sans doute de rajouter
son drone et/ou son robot (ndlr). Le CEMAT souligne ainsi l’intrication des réponses à apporter
dans différents milieux et champs, entre les champs physique, cognitif et cyber.
A la croisée de ces espaces, et via déjà la mobilisation des messages textes,
photos ou vidéos, les smartphones sont d’ores et déjà des capteurs
décentralisés de renseignement.

S’y ajouterait ici l’usage de l’acoustique (finalement
le cœur historique d’un téléphone pour les échanges par la voix), avec la simple
installation d’une application. Cela permet
de redistribuer à des échelons bas des capacités jusqu’alors comptées et concentrées
à la main de spécialistes. Il s’agit de redonner de l’autonomie à ces échelons,
en les intégrant dans un réseau leur permettant de bénéficier des moyens des
niveaux supérieurs (qui peuvent garantir notamment l’allonge et la puissance de
feu). Le militaire ne part plus avec son capteur mais devient un capteur, au
sein de pions tactiques qui doivent être de plus en plus autonomes et agir en décentralisé face à l’hyper-violence
et la transparence du champ de bataille. Il faut que tout ce qui bouge ou fait
du bruit soit détecté, et que tout ce qui est détecté soit frappé, dans des délais
de plus en plus réduits. Or, combien de
radars de contre-batterie aujourd’hui au sein de l’armée de Terre ?
Combien de radars de surveillance terrestre en-dehors des régiments d’artillerie ?
Combien de détecteurs embarqués sur le parc de véhicules Scorpion et ceux pas encore dans cette bulle ? Combien de
systèmes individuels de détection pour la lutte anti-drones ? Trop peu. Avec
une approche en réseau en première ligne et éventuellement dans la profondeur
du dispositif adverse, la transparence sur des portions plus importantes
de terrain est possible, en étant potentiellement en retrait. Cela permet de ne pas rester dans la
zone de forte mortalité, battue par les feux, qui est située sur plusieurs
kilomètres de chaque côté de la ligne de front.

Sesame Acoustics cherche donc à « ubériser » le compte-rendu, en garantissant
une meilleure efficacité de la boucle renseignement-feux.
Plusieurs régiments
des forces spéciales et conventionnelles s’y intéressent de près. Des
commandements « Alpha » de l’armée de Terre se penchent sur les
applications, les enjeux d’intégration, la définition des justes besoins de
remontées d’informations, etc. Soutenue par différents organismes (Commandement
du Combat Futur, Section Technique de l’Armée de Terre, Agence de l’Innovation de Défense, etc.) au cœur de la
politique d’innovation au service des forces, la start-up a un produit aujourd’hui
à TRL7, soit démontré dans un environnement opérationnel représentatif.
L’AID a réalisé des essais de la solution dans le cadre du projet d’accélération d’innovation Esmeralda. L’application
pourra être disponible dans les prochains mois, en étant mise à disposition dans un possible
« store », au même titre que toutes les autres applications métiers envisageables
pour l’écosystème Scorpion et développées par d’autres sociétés : aide au tir pour les tireurs d’élite, traduction simultanée
pour faciliter les interactions en coalition ou avec les populations locales, aide
pour le calcul de portance d’ouvrages d’art…

Après une
approche très académique dans le développement de cette solution est
venue le temps de la démarche applicative. En prenant des risques, les chercheurs-entrepreneurs
sont passés de la phase de R&D à l’industrialisation. C’est bien ensuite dans les passages à l’échelle
réalisés, avec intégration au sein des forces, qu’une politique d’innovation
est réellement évaluée. Il y a ici un nouvel exemple de l’intérêt de cette « BITD
augmentée
 », avec des talents cherchés en-dehors des acteurs habituels. Il
faut absolument appeler de ses vœux le maintien de cette ouverture et la
réussite de leur bonne prise en compte, pour ne pas générer de la frustration
qui viendrait réduire le dynamisme des solutions mise à disposition des
utilisateurs finaux, en se privant de ces apports non-traditionnels.
Quand bien même cela irait à l’encontre
de certains positons actuelles établies…

Auteur : noreply@blogger.com (F de St V)

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Cédric

Depuis 1998, je poursuis une introspection constante qui m’a conduit à analyser les mécanismes de l’information, de la manipulation et du pouvoir symbolique. Mon engagement est clair : défendre la vérité, outiller les citoyens, et sécuriser les espaces numériques. Spécialiste en analyse des médias, en enquêtes sensibles et en cybersécurité, je mets mes compétences au service de projets éducatifs et sociaux, via l’association Artia13. On me décrit comme quelqu’un de méthodique, engagé, intuitif et lucide. Je crois profondément qu’une société informée est une société plus libre.

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