Mémoire, Histoire & Culture Militaire

Seconde Guerre mondiale. Suite à l’appel du 18 juin 1940, dans la région, des résistants s’engagent

Il y a 85 ans avait lieu l’appel du 18 juin 1940. Quand l’Armistice est signé en France le 22 juin 1940, la région se retrouve occupée par les Allemands. Les actes de désobéissance et de résistance se développent dès l’été. Présentation de quelques résistances nordistes.

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Déjà en 14/18, les violences, crimes et exactions de l’armée allemande avaient poussé des habitants du Nord Pas-de-Calais à résister.

En juin 40, le souvenir de cette période est très présent. Les résistants de la Grande Guerre comme Louise de Bettignies, Léon Trulin ou Eugène Jacquet sont encore célébrés. Dès l’arrivée des Allemands en juin 1940, certains retrouvent leur âme de résistant.

En juin 1940, Emilienne Moreau vit à Lens avec ses deux enfants. Institutrice, elle est mariée avec Just Evrard le secrétaire de la Fédération Socialiste du Pas-de-Calais. L’occupant la place immédiatement en résidence surveillée à Lillers chez sa mère.

Carte postale à l’effigie d’Emilienne Moreau datant de 1916. Les poilus connaissent sa réputation de résistante. Cette carte était distribuée sur le front pour donner du courage aux soldats.

© Archives du Pas-de-Calais

Les Allemands ont des raisons de se méfier d’Emilienne, c’est une résistante de la première guerre mondiale. Le 25 septembre 1915, elle a 17 ans et habite sur le front à Loos-en-Gohelle. Un régiment écossais tente de reprendre la ville, Emilienne va à la rencontre des Britanniques pour leur décrire les positions ennemies. Grâce à ces renseignements, les Ecossais sont victorieux.

Raymonde Marc (deuxième en partant de la droite) décorée de la Médaille de la Résistance à Lille à la Libération.

© Musée de la Résistance de Bondues

Pendant les combats, Emilienne aide un médecin militaire à transformer sa maison en poste de secours, abat au revolver deux fantassins allemands qui menacent de passer sa porte et participe à l’assaut de la maison voisine, armée de grenades, aux côtés des Britanniques. Cela lui vaut la Croix de Guerre.

Émilienne Moreau-Évrard, devant Carlton Gardens, le siège des Forces Françaises Libres à Londres en 1944.

© Musée de l’Ordre de la Libération


En 1940, malgré la surveillance allemande, Emilienne Moreau retrouve ses réflexes. Autorisée à rejoindre sa famille à Lens, elle commence, avec elle, par distribuer des tracts et des brochures contre la capitulation et le maréchal Pétain. Avec son mari, elle constitue la section socialiste clandestine de Lens.

Le couple prend contact avec l’Intelligence Service pour fournir des renseignements aux Alliés. Dès septembre 1941, Just Evrard est arrêté et détenu pendant 7 mois. A sa libération, le couple passe en zone libre, à Lyon. Sous le pseudonyme d’Emilienne la Blonde ou de Jeanne Poirier, Emilienne est agent de liaison pour le réseau de résistance Brutus puis pour le réseau France au combat.

Dix-sept de ses camarades sont arrêtés par la Gestapo en mars 1944, Emilienne échappe une première fois de justesse aux Allemands. Traquée, elle doit être évacuée par avion et parvient à Londres en août 1944. Elle est invitée à prendre la parole à la BBC pour exhorter les femmes à la Résistance.

Ce sont pour la plupart des femmes qui font les liaisons des groupes de résistance.

Lors d’une conférence de presse à Londres, le 15 août 1944, elle dit : « Ce sont pour la plupart, des femmes qui font les liaisons des groupes de résistance, ce sont des femmes qui portent et distribuent souvent les journaux et les tracts. Ce sont encore des femmes qui, … revenaient fourbues, lasses, épuisées, rapportant aux organisations les renseignements sur la concentration des troupes… La femme française a réagi, j’oserai dire, plus vite que les hommes parce que, mère de famille, elle s’est trouvée aux prises avec toutes sortes de difficultés que ne connaissent pas les hommes«  (Vladimir Trouplin, Dans l’honneur et par la victoire. Les femmes compagnon de la Libération, Tallandier).

Elle revient à Lens en septembre 1944 et sera décorée de la Croix de la Libération par le général de Gaulle à Béthune le 11 août 1945. Elle est l’une des 6 femmes ayant le titre de Compagnons de la Résistance. Emilienne Moreau-Evrard décède le 5 janvier 1971 à Lens où elle est inhumée au cimetière de l’Est.

L’aide aux soldats ou aux aviateurs britanniques est le premier motif de déportation des résistantes dans le Nord, suivi de l’espionnage. La loi française interdit d’exécuter une femme condamnée, elles sont donc envoyées dans des camps en Allemagne.

Malgré les risques, elles sont nombreuses à s’engager dans la Résistance. D’après l’historienne Catherine Lacour-Astol, 17% des résistants sont des résistantes en 1940 et 1941 dans la région. C’est plus qu’ailleurs en France.

Raymonde Marc est la fille de Georges Marc, un douanier de Lannoy. Agée de 17, ans elle aide son père à faire passer la frontière à des soldats alliés en fuite. Ils distribuent aussi des journaux clandestins comme les Petites Ailes ou la Voix de la Nation.

Raymonde Marc (deuxième en partant de la droite) décorée de la Médaille de la Résistance à Lille à la Libération.

© Musée de la Résistance de Bondues

Le 11 décembre 1941, Georges Henri Marc est arrêté et déporté. Il meurt le 19 décembre 1944 à Groß-Rosen en Allemagne. Raymonde est arrêtée en même temps que son père. Relâchée, elle ne renonce pas et intègre le réseau Ali France sous le pseudonyme de Carmen.

Raymonde Marc, membre du réseau Ali France sous le pseudonyme de Carmen.

© Musée de la Résistance de Bondues


Son activité est énorme, Raymonde Marc effectue une mission par semaine. Parfois elle accompagne les soldats en fuite jusqu’à Paris ou en zone libre. Le 23 avril 1944, elle est à nouveau arrêtée. Détenue à Bruxelles, elle est condamnée à être pendue mais finalement elle est déportée à Ravensbrück le 6 juin 1944. Elle s’échappe lorsque les Allemands évacuent le camp à l’approche de l’Armée Rouge.

Marie-Thérèse Géré vit à Fives près de Lille avec sa mère Emma. Dès le début de l’occupation, les deux femmes aident des soldats français et britanniques à s’enfuir en les cachant parfois chez elles. La petite maison d’Emma et Marie-Thérèse Géré sert d’imprimerie clandestine de septembre 1941 à avril 1942.

Marie-Thérèse Géré, résistante à 14 ans.

© Musée de la Résistance de Bondues


Des responsables du réseau la Voix du Nord organisent également des réunions chez les Géré pendant lesquelles Marie-Thérèse fait le guet à l’extérieur. La maison est détruite lors du bombardement du 10 mai 1944. Considérées comme disparues, les deux femmes échapperont aux enquêtes de la police allemande jusqu’à la Libération.

De nombreux habitants de la région ont fui leur foyer pendant les combats et tentent difficilement de revenir chez eux. Souvent ils découvrent des villes détruites, des habitations pillées. Dans ces conditions, très peu entendent l’Appel du 18 juin à la BBC. Un des premiers actes de résistance sera souvent de diffuser le discours du général de Gaulle.

Tract diffusé par avion au-dessus de la région permettant de populariser l’appel du 18 juin.

© La Coupole Saint-Omer, Collection Coilliot ECPAD CTC 2343

Andrée Herbeaux habite dans les ruines de Rosendaël, près de Dunkerque. Elle fait partie des rares personnes qui entendent la BBC et de Gaulle le 18 juin 1940.

Andrée a 18 ans et une formation de sténodactylo. Elle prend en note le discours de ce général qu’elle ne connaît pas et le recopie sur des tracts qu’elle distribue avec sa mère.

Carte d’identité de combattante de la France Libre d’Andrée Herbeaux.

© Musée de la Résistance de Bondues

Andrée Herbeaux et ses parents, Suzanne et Louis, passent ensuite à une résistance plus active.

Avec d’autres résistants du littoral, notamment l’Abbé Bonpain, Jules Lannery et Jean Bryckaert, ils récoltent et transmettent des renseignements militaires aux Alliés : emplacements de rampes de lancement des fusées allemandes V2, plans de la base de sous-marins de Dunkerque… Ils forment l’antenne dunkerquoise du réseau de résistance Alliance.

La famille Herbeaux est arrêtée en novembre 1942. Louis est fusillé avec l’abbé Bonpain et Jules Lannery dans le fort de Bondues le 30 mars 1943. Suzanne et Andrée sont déportées en Allemagne dans la prison pour femmes de Schwäbisch-Gmünd. Elles sont libérées en avril 1945.

Cour Sacrée du Fort de Bondues où 68 résistants furent fusillés.

© Gonzague Vandamme / FTV

Comme les Herbeaux, d’autres familles de la région se sont lancées dans la résistance. Souvent c’est pour cacher un soldat allié ou un pilote fugitif le temps d’organiser son transfert vers l’Angleterre. 

Détail du mémorial du Fort de Bondues rappelant l’exécution de l’Abbé Bonpain et de Louis Herbeaux.

© Gonzague Vandamme / FTV

À Renty, Norbert Fillerin, sa femme Marguerite et leurs filles, Geneviève et Monique fondent le réseau d’évasion K6. Les pilotes alliés abattus sont soignés à Saint-Omer pour ensuite regagner l’Angleterre par Paris, Marseille ou l’Espagne. Mais en 1943 les Allemands parviennent à infiltrer le réseau. Le 5 mars 1943, Norbert Fillerin est arrêté. Envoyé pour être interrogé et torturé à Paris, il est emprisonné à Fresnes puis déporté à Kuntshöfchen en Tchécoslovaquie. Il sera libéré par l’armée soviétique en mai 1945. 

Marguerite Fillerin est également arrêtée et condamnée à mort. Sa peine sera commuée en travaux forcés dans un camp en Allemagne. Elle survivra et rentrera à Renty en 1945.

Norbert Fillerin, ses filles Geneviève et Monique, son fils Gabriel.

© René Lesage, comité d’histoire du Haut-Pays

Les deux filles du couple continueront à venir en aide aux aviateurs alliés abattus. Les 3 derniers seront même hébergés dans la maison familiale de Renty de juin 1944 jusqu’à la libération du village en septembre 1944.

Juin 1940 : Soldats français et britanniques cachés dans la ferme Destombe à Bondues

© Musée de la Résistance de Bondues

À Bondues, les Destombe, une famille d’agriculteurs, rentre d’exode en juin 1940. Dès leur retour, ils viennent en aide aux soldats français et britanniques qui se cachent dans leur ferme. Plus tard la famille fournira des renseignements sur les activités allemandes sur le champ d’aviation voisin au réseau de résistance la Voix du Nord.

À Douai, Jacques Desbonnet a 17 ans. Il entend l’Appel du général sur la BBC. Avec la complicité d’un ami photographe il distribue des portraits de de Gaulle.

La plupart de la population, comme moi d’ailleurs, ignorait qui était de Gaulle. J’ai distribué plusieurs dizaines de photos parmi mes amis

« C’est en compagnie du baron Baude de Hautecloque que j’ai eu le privilège d’entendre l’Appel du 18 juin du général de Gaulle. J’ai eu la chance de retouver un ami photographe, Auguste Faidherbe, qui avait pris l’initiative de reproduire des photos du général de Gaulle. Il m’a proposé de les distribuer dans un cercle restreint à des personnes sûres, afin de faire connaître le général, car la plupart de la population, comme moi d’ailleurs, ignorait qui était de Gaulle. J’ai distribué plusieurs dizaines de photos parmi mes amis… Le 11 novembre 1940, en compagnie d’Auguste Faidherbe, de son épouse et d’un autre douaisien, en geste de protestation, nous sommes partis le matin vers 9 heures pour déposer des fleurs au pied du monument aux morts de Douai et aussi dans le carré militaire du cimetière. J’estime que ça a été mon premier acte de résistance.« 

Londres, 17 août 1940, le général de Gaulle portant sa barrette de décorations françaises. Elle est en quelque sorte la première photographie officielle du chef des Français libres. Elle est distribuée en France occupée pour faire connaître de Gaulle.

© Musée de l’Ordre de la Libération


Grâce à ces petits actes de désobéissance il est repéré et recruté par le réseau Voix du Nord. Jacques Desbonnet a pour mission de favoriser la désertion de soldats luxembourgeois ou alsaciens enrôlés de force dans l’armée allemande à partir de 1943. Il est arrêté, torturé et condamné à 1 an de prison. Incarcéré à Loos, il est libéré en 1944 et s’engage dans l’armée française de libération.

Avril 1945, le soldat Jacques Desbonnet à Stuttgart en Allemagne. La ville vient d’être prise par les Alliés.

© Musée de la Résistance de Bondues


Comme Jacques Desbonnet, des habitants commencent à résister en effectuant des actes de désobéissance à l’occupant allemand comme fleurir les tombes des soldats alliés morts dans la région en mai/juin 40.

Acte de désobéissance: le 14 juillet 1941, des habitants de Wattrelos fleurissent les tombes de soldats anglais morts en mai 1940.

© Musée de la Résistance de Bondues


Dans La Résistance dans le Nord-Pas-de-Calais, l’historien Robert Vandenbussche explique que ces réseaux de la première heure sont très fragiles. Les résistants sont inexpérimentés et manquent d’argent. Face à des agents du renseignement allemands entraînés et efficaces, c’est l’hécatombe. Dès le printemps 1941, les principaux groupes de la région sont démantelés.

Manifestation en hommage aux soldats anglais morts en mai 1940 à Wattrelos le 14 juillet 1941.

© Musée de la Résistance de Bondues

Avec un soldat allemand pour vingt-cinq habitants en 1940 et 1944, l’occupation dans la région est qualifiée d’étouffante par l’historienne Catherine Lacour-Astol. Avec la mise en place du STO (Service du Travail Obligatoire qui contraint des hommes à partir travailler en Allemagne), les privations et l’exploitation économique de la région au profit du Reich, l’entrée dans la résistance du Parti Communiste en 1941, de nouveaux partisans prennent le relais. La Résistance devient plus masculine. La répression allemande sera féroce jusqu’au bout.

De 1940 à 1944 dans la région, 1 143 résistants sont fusillés, plus de 5 000 sont déportés dans les camps de concentration.

(Article déjà publié le 19 juin 2020)
► La suite de notre série demain.



Auteur : Gonzague Vandamme

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Cédric

Depuis 1998, je poursuis une introspection constante qui m’a conduit à analyser les mécanismes de l’information, de la manipulation et du pouvoir symbolique. Mon engagement est clair : défendre la vérité, outiller les citoyens, et sécuriser les espaces numériques. Spécialiste en analyse des médias, en enquêtes sensibles et en cybersécurité, je mets mes compétences au service de projets éducatifs et sociaux, via l’association Artia13. On me décrit comme quelqu’un de méthodique, engagé, intuitif et lucide. Je crois profondément qu’une société informée est une société plus libre.

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