Seconde Guerre mondiale. « Le jour où il est rentré, je ne l’ai pas reconnu » : au printemps 1945, les premiers déportés étaient rapatriés dans la région
Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, l’État français a rapidement organisé le retour des prisonniers et des déportés des camps allemands. Envoyés dans six centres du Nord et du Pas-de-Calais pour être soignés et inspectés, les arrivants renouaient peu à peu avec la France. Leurs descendants partagent l’émotion de ces premiers retours.
Dans les entrailles du collège Saint-Jacques d’Hazebrouck, gît un vestige vieux de 80 ans. Un tableau blanc retourné et peint côté bois, indiquant en lettres rouges et bleues « Ministère des Prisonniers déportés et Réfugiés, hébergement ».
Un souvenir du passé retrouvé par hasard dans cet établissement privé, réquisitionné en 1945 pour accueillir les prisonniers de guerre, tout juste libérés des camps allemands. Parmi eux, un prêtre breton, Yves Cocheril, dont le témoignage a été découvert dans un livre d’or, oublié au fond d’un tiroir du collège et retrouvé bien des décennies plus tard.
Le livre d’or où se trouve le témoignage d’Yves Cocheril.
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© Antoine Morvan / FTV
C’est un enseignant, aujourd’hui à la retraite, qui est devenu gardien de cet ouvrage. « Le livre commence en 1939 et, en 1945, je retrouve le témoignage d’Yves Cocheril, qui a passé peu de temps ici avant de retourner en Bretagne« , relate Jean-Michel Saus.
« Dedans, il dit que c’est ici qu’il a retrouvé la France, il écrit son émotion d’y revenir… Il était à peine prêtre, qu’il est directement parti pendant 5 ans au camp de Sagan Stalag VIII C en Pologne. » Aujourd’hui encore, l’ancien enseignant feuillette ces pages avec un respect rigoureux. Le témoignage du prêtre s’étale sur une poignée de lignes, que Jean-Michel lit à voix haute.
3 mai 1945. C’est ici que j’ai la joie de célébrer ma première messe en France. Trop d’émotion pour les exprimer ici. Cette messe a d’abord été une action de grâce pour la protection de dieu pendant cette captivité.
Yves Cocheril, prêtre déporté en Pologne
Avant de rejoindre sa Bretagne, Yves Cocheril a dû faire étape à Hazebrouck, pour recevoir une batterie de tests et de vérifications. L’Allemagne n’a pas encore capitulé que, déjà, l’administration française fomente le rapatriement des prisonniers de guerre et des déportés, en grande partie par le nord de la France où se trouvaient six CPAF (Centres Principaux d’Accueil à la Frontière).
Ces structures éphémères accueillaient des trains remplis de citoyens français, originaires de tous les départements. « C’étaient des centres de filtrage, pour dresser un état sanitaire des individus et renvoyer dans ses foyers la personne en bonne santé. La personne malade était, elle, accompagnée, pour éviter qu’une épidémie comparable à celle de la fin de la Première Guerre mondiale, avec la grippe espagnole, se propage à nouveau. » Hervé Passot est responsable du service des fonds aux Archives départementales du Nord.
L’établissement conserve scrupuleusement la mémoire des CPAF et de la mobilisation générale du personnel médical. « Il est indiqué qu’un médecin doit être présent 24h/24 et que, au besoin, il faut aller réquisitionner les médecins civils. Les visites médicales doivent durer 15 minutes, donc il faut un certain temps pour pouvoir absorber les centaines voire milliers d’arrivants.«
Les six CPAF du Nord-Pas-de-Calais.
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© FTV
L’État et l’administration française récupèrent également plusieurs bâtiments pour les transformer en hôpitaux de campagne, ou en centres logistiques. On réquisitionne les centres hospitaliers déjà existants, des établissements scolaires, à Lille par exemple l’école Franquin, le collège Jean Masset ou les arts et métiers, puis on crée des hôpitaux provisoires pour gérer l’afflux de prisonniers, qui arrivent massivement dès le printemps 1945 par les convois de rapatriement.
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Quelques kilomètres à l’Est de Lille, se trouve la ville de Jeumont. Là-bas aussi des milliers de soldats et de civils sont arrivés par les voies de chemin de fer, pour, au-delà de l’inspection médicale, être répertoriés administrativement. « Les volontaires précisaient les suspects, qui étaient examinés, et ensuite traduits devant les tribunaux« , révèle Hervé Passot en souriant.
De ces arrivées à Jeumont, il ne reste plus beaucoup de souvenirs. Seuls trois clichés, retrouvés par l’historien amateur et ancien libraire Christian Rousselle, ont survécu au temps. On y voit des passagers descendre d’un train en 1945 et regagner des baraquements sur la place de Jeumont. Christian Rousselle se remémore ces scènes un peu floues, gravées dans son esprit d’enfant :
Moi j’étais tout petit, je me rappelle des baraquements qu’il y avait sur la place, c’est un vague souvenir. Mais aujourd’hui, beaucoup de gens ont disparu et on ne se souvient plus trop de tout ça.
Christian Rousselle, historien amateur à Jeumont
Se souvenir, tout un travail. Surtout 80 ans plus tard. Les témoins de ces évènements historiques se font de plus en plus rares, et les archives sont éprouvées par le passage des années. Pourtant, à Maubeuge, le service des archives de la médiathèque a réussi à constituer une exposition qui retrace des parcours de vie, autour des thèmes de l’emprisonnement, de la déportation et du rapatriement.
« On a pu bénéficier de photos inédites du personnel médical intervenu à l’époque, et de la gestion des personnes passées par le centre de rapatriement« , livre Sébastien Meurant, adjoint au patrimoine. « Sur la ville de Maubeuge, plusieurs bâtiments municipaux ont été réquisitionnés pour gérer le flux comme la piscine pour le traitement administratif, et le Peigne ou l’hospice militaire pour les soins et l’infirmerie. » Une logistique qui a permis d’examiner et de contrôler plus de 50 000 personnes.
Les photos de Jeumont, retrouvées par Christian Rousselle.
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© Antoine Morvan / FTV
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Après ces contrôles, tous pouvaient enfin rentrer chez eux. Un moment bouleversant, inoubliable pour leurs familles, éprouvées par les années d’absence. Claudine Lozé, fille d’André Kint, prisonnier de guerre, et autrice d’Une Petite Fille des années Quarante se souvient.
Nous habitions près de la gare de Lille et nous allions tous les jours voir le retour des prisonniers, je voyais les trains arriver, les soldats débarquer, c’était la fête, les embrassades, c’était magnifique. Le jour où il est rentré, nous n’étions pas là. Je l’ai retrouvé chez mes grands-parents et je ne l’ai pas reconnu.
Claudine Lozé, fille d’André Kint, prisonnier de guerre
Ernest Gaillard, résistant cambrésien, est rentré lui aussi, après avoir survécu à l’enfer concentrationnaire de Dora. « Quand il est revenu il pesait à peine 40 kilos alors que c’est un homme qui en pesait plus de 90. Il a souffert terriblement mais pour lui c’était une nouvelle vie et on continuait« , souligne sa petite-fille Dominique Gaillard, maire adjointe de Cambrai.
Pour le déporté Mayer Kreinik, juif polonais raflé à Paris, il n’y a cependant pas eu de retour. Suzanne, sa fille, explique que sa mort, à Auschwitz, a mis une cloche au-dessus de sa famille.
« On ne posait jamais de questions. Et toutes les familles que je fréquente ont eu les mêmes réactions, on ne se parlait pas. C’est mon mari qui a voulu reconstituer la vie de mon père et qui a fait un grand dossier. Je m’y suis intéressée après.«
Après la guerre, la mère de Suzanne s’est remariée à Cambrai, avec un rescapé des camps, qui avait perdu sa femme et son fils à Auschwitz. Aujourd’hui, trois pavés de mémoire aussi appelés « Stolpersteine », ont été installés devant leur ancien domicile, pour rappeler leur tragédie. D’autres pavés dorés, dotés du nom des personnes déportées, ont été apposés dans la ville de Cambrai, qui compte six pavés de la mémoire.
Les pavés de mémoire installés devant l’ancienne demeure de Suzanne.
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© Antoine Morvan / FTV
« Ces pavés ont été installés à l’initiative d’une classe d’allemand du lycée Saint-Luc, qui a fait les recherches et effectué toutes les démarches« , détaille Lydie Perraud, cheffe de projet pour Cambrai Ville d’art et d’histoire.
« C’est important puisque ça permet de sortir ces déportés de l’anonymat, c’est le but de l’artiste qui a mis en place ces pavés, de ne pas voir cette masse de personnes ayant subi cette barbarie nazie. Là on met un nom, une date et un destin derrière ces Cambrésiens, ces Cambrésiennes qui ont vécu des horreurs.«
Auteur : Noëlle Hamez
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