Mémoire, Histoire & Culture Militaire

Seconde Guerre mondiale : Delestraint et Bollaert, deux résistants Nordistes méconnus aux côtés du général de Gaulle

1940. Tandis que la France ploie sous l’Occupation, de Gaulle cherche des relais fiables pour bâtir la Résistance. Deux hommes du Nord, Delestraint et Bollaert, s’engagent dans l’ombre avec Jean Moulin, au mépris du danger.

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Ils ont le même prénom -Charles- et sont nés dans la même région. Ils sont tous les deux militaires et passionnés par les chars. En 1940, tous les deux choisissent de résister.

Les parcours de Charles de Gaulle et Charles Delestraint sont étroitement liés.

Général Charles Delestraint

© Musée de l’Ordre de la Libération

Charles Delestraint est né en 1879 à Biache-Saint-Vaast, près d’Arras. Son père est comptable dans une fonderie. Il est scolarisé à Haubourdin, près de Lille, jusqu’au baccalauréat. En 1887, il entre à Saint-Cyr. Lorsqu’éclate la guerre en 1914, il est capitaine. Il reçoit la Croix de Guerre et la Légion d’honneur en août 1914 pour avoir arrêté, à la tête de son détachement, les troupes allemandes sur la Meuse à Haybes dans les Ardennes. Mais 5 jours plus tard, il est capturé lors d’une embuscade.

 

Il n’est libéré qu’en 1918. Comme de Gaulle, il reste marqué par cette captivité. Après-guerre, il demande à être affecté dans un régiment de chars. Le 23 décembre 1936, il devient général de brigade. En 1937, il a sous ses ordres le colonel de Gaulle. Ils partagent les mêmes idées sur l’utilisation des blindés et s’entendent parfaitement. Charles Delestraint se démène pour que la France produise plus de chars lourds.

En 1940, le général Delestraint a de nouveau de Gaulle sous ses ordres. Ils combattent ensemble l’avancée allemande jusqu’à l’entrée de Charles de Gaulle au gouvernement le 6 juin 1940. À la tête de ses deux divisions blindées, Delestraint s’oppose aux Panzers jusqu’à l’armistice. Ayant atteint la limite d’âge depuis longtemps, il quitte l’armée. D’après François-Yves Guillin, son ancien secrétaire personnel, le général Delestraint demande alors à ses officiers de « se comporter en Français, et non avec une mentalité de chiens battus ou d’esclaves ».

Si nous savons vouloir, la France ressuscitera un jour, elle aussi, du calvaire présent.

Charles Delestraint se retire dans sa maison de Bourg-en-Bresse. Son premier acte de résistance est de populariser de Gaulle autour de lui. Il organise des soirées, des débats pour parler de résistance et il n’est pas tendre avec le gouvernement de Vichy. Son activité n’est pas discrète, le Maréchal Pétain lui rappelle son devoir de réserve.

En 1942, de Gaulle charge Jean Moulin d’unifier les différents mouvements de résistance pour en faire une véritable Armée Secrète. Il pense à son ancien supérieur pour en prendre la tête.

Jean Moulin avec le major Von Gütlingen à la préfecture de Chartres en juillet 1940. Préfet d’Eure-et-Loir, il refuse de collaborer et fait une tentative de suicide le 17 juin 1940. Sur cette photographie, il porte un foulard autour du cou pour masquer la cicatrice.

© Musée de l’Ordre de la Libération

Jean Moulin et Charles Delestraint se rencontrent le 28 août 1942, place des Terreaux à Lyon. Sous le pseudonyme de Vidal, Delestraint devient chef de l’Armée Secrète. Il organise les premiers grands maquis comme le Vercors, continue d’unifier les différents réseaux et prépare l’appui de la Résistance pour le futur débarquement. Une activité qui n’échappe pas aux services de renseignements allemands.

Le 9 juin 1943, Charles Delestraint est arrêté par la Gestapo dans la station de Métro la Muette à Paris. Interrogé et incarcéré à Fresnes pendant 9 mois, il est ensuite envoyé au camp du Struthof en Alsace. Il fait partie des prisonniers de la catégorie « Nacht und Nebel », ceux qui doivent disparaître.

En septembre 1944 il est transféré à Dachau.

Le 19 avril 1945, 10 jours avant la libération du camp par les Américains, il est exécuté d’une balle dans la nuque et son corps est incinéré. François-Yves Guillin, son secrétaire personnel lorsqu’il est à la tête de l’Armée secrète, a rendu public une note écrite par Charles Delestraint en 1942. Il y édicte ses règles de vie :

1. Me désapproprier de moi-même. Vivre intensément pour Dieu, à qui je confie ma famille, tous ceux qui me sont le plus chers, pour ma Patrie, pour mes frères. 2. Vivre libre et joyeux, patient, en dépit de la botte allemande et de l’étouffement français. 3. Être exact.

En 1989, son nom est gravé au Panthéon à Paris.

Emile Bollaert est dunkerquois. Son père est professeur de musique et organiste de l’église Saint-Eloi. Sa mère est issue d’une famille d’armateurs. Enfant, il fréquente l’école Notre-Dame-des-Dunes, puis le lycée Faidherbe à Lille et Louis-le-Grand à Paris.

Émile Bollaert.

© Musée de l’Ordre de la Libération

En 1911, il est incorporé dans le Service de Santé militaire dans le laboratoire militaire de bactériologie de l’Institut Pasteur de Lille dirigé par le professeur Albert Calmette.

Il devient chef adjoint de cabinet du préfet du Nord en 1913. Lorsque la guerre est déclarée, à sa demande, Emile Bollaert part au front. Il est dans la Somme en 1915 et participe à la bataille du chemin des Dames en 1917.

Emile Bollaert dans la Somme en 1915.

© Alain Bollaert

Après-guerre, il se marie avec Flora Willem, fille d’un industriel textile à Roubaix. Il enchaîne les postes dans l’administration et devient directeur de cabinet d’Edouard Herriot, Président du Conseil en 1924.

En juin 1940, lors de l’invasion allemande, il est préfet du Rhône à Lyon. Il reste à son poste lorsque les soldats allemands arrivent et évite la destruction de la ville. Le 25 septembre 1940 il refuse de prêter serment au Maréchal Pétain, il est alors relevé de ses fonctions.

Il devient courtier en assurance mais reste étroitement surveillé par Vichy. Grâce à son métier il se déplace beaucoup, notamment en Afrique du Nord où il rencontre des proches du général de Gaulle.

En 1942, il devient résistant sous le pseudonyme de Baudoin. En 1943, de Gaulle le choisit pour remplacer Jean Moulin qui vient d’être arrêté par la Gestapo. Emile Bollaert devient le responsable de la résistance intérieure. Traqué par l’occupant, il tente à plusieurs reprises de gagner l’Angleterre.

Le 2 février 1944, il tente de fuir avec Pierre Brossolette, un autre responsable de la Résistance. Leur bateau fait naufrage au large du Finistère.

Mémorial commémorant, en Bretagne, le naufrage d’Emile Bollaert et Pierre Brossolette en février 1944.

© Moreau.henri – CC BY-SA 4.0

Les deux hommes se réfugient chez un résistant mais sont arrêtés le lendemain à Audierne et conduits à Paris.

Nous subissons un nouvel interrogatoire dans deux pièces contiguës ; j’entends ses cris comme il doit entendre les miens.

Interrogés et torturés, Bollaert et Brossolette se croisent dans le souterrain de la prison : « Il me dit bonjour furtivement, mais je lis dans ses yeux une froide résolution. Nous subissons un nouvel interrogatoire dans deux pièces contiguës ; j’entends ses cris comme il doit entendre les miens. Son interrogatoire se termine avant le mien ; escorté de son bourreau, il rentre dans la pièce où je suis moi-même à la torture ; on le met au coin comme un enfant, la face tournée vers le mur. Il est midi. Nos policiers doivent aller déjeuner après une matinée aussi bien remplie. Nous sommes donc conduits au cinquième étage de l’immeuble, dans des chambres de domestiques transformées en cellules. Je ne devais plus revoir Pierre ; ce n’est que quelques jours après que j’appris, par ces curieuses communications transmises à travers les murs de Fresnes, que Brossolette trompant la surveillance de son gardien s’était jeté de la mansarde voisine de la mienne et s’était écrasé au sol… Et c’est ainsi qu’a disparu l’un des plus nobles héros de la Résistance » (Emile Bollaert cité dans une biographie par son fils, Alain Bollaert).

Pierre Brossolette, journaliste et résistant.

© Musée de l’Ordre de la Libération

Le 15 août 1944, à 54 ans, Emile Bollaert est déporté à Buchenwald, le 3 septembre 1944, il est transféré dans le camp de Dora où sont construites les fusées V2, celles qui devaient être utilisées pour bombarder l’Angleterre notamment au départ du site de La Coupole près de Saint-Omer.

Le 5 avril 1945, les Allemands transfèrent les survivants à Bergen-Belsen où Emile Bollaert est délivré par les Britanniques, dix jours plus tard. Désigné comme représentant par les déportés, il a encore l’énergie d’aider les Alliés à organiser l’évacuation du camp. Le 29 avril 1945, Emile Bollaert rentre en France. Il ne pèse plus que 45 kilos. Le 1er mai il défile en tenue de déporté avec d’autres résistants sur les Champs Elysées.

Le 1er mai 1945, Emile Bollaert défile en tenue de déporté sur les Champs-Élysées avec d’autres résistants revenus des camps.

© Alain Bollaert

En 1945, Charles Delestraint et Emile Bollaert sont faits Compagnons de la Libération. Seules 1038 personnes possèdent ce titre.

SOURCES :

  • biographie d’Emile Bollaert par Alain Bollaert
  • biographie de Charles Delestraint par François-Yves Guillin
  • Musée de l’ordre de la Libération

Article déjà publié le 20 juin 2020.



Auteur : Amandine Rasseneur

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Cédric

Depuis 1998, je poursuis une introspection constante qui m’a conduit à analyser les mécanismes de l’information, de la manipulation et du pouvoir symbolique. Mon engagement est clair : défendre la vérité, outiller les citoyens, et sécuriser les espaces numériques. Spécialiste en analyse des médias, en enquêtes sensibles et en cybersécurité, je mets mes compétences au service de projets éducatifs et sociaux, via l’association Artia13. On me décrit comme quelqu’un de méthodique, engagé, intuitif et lucide. Je crois profondément qu’une société informée est une société plus libre.

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