Que restera-t-il des armées américaines après Trump face la Chine ?
Depuis la fin de la guerre froide, les armées américaines ont largement dominé la scène militaire mondiale, tant par leur budget que par leur technologie et leur capacité à intervenir rapidement sur l’ensemble du globe. Pourtant, derrière cette façade de puissance, une fragilité structurelle est venue s’installer au sein du Pentagone, à mesure que les échecs programmatiques, les dérives budgétaires, les réorientations doctrinales et les ruptures stratégiques se sont multipliés au fil des années.
Cette fragilité, qui puise ses racines bien avant le mandat de Donald Trump, a fini par produire une forme d’instabilité de fond dans la planification militaire américaine, comme en témoigne l’impressionnante liste de programmes arrêtés, annulés ou profondément remaniés : hélicoptères FARA et Comanche, destroyers Zumwalt, programme OMFV, modernisation du M1A2 SEPv4, ou encore le programme de drone armé MQ-25 partiellement redimensionné.
Ces échecs ne sont pas seulement des erreurs d’ingénierie : ils témoignent d’une difficulté croissante à construire une vision stratégique cohérente et stable dans la durée, condition pourtant indispensable pour maintenir la supériorité militaire sur les plans technologique, capacitaire et opérationnel.
Cette instabilité s’est d’ailleurs manifestée jusque dans les programmes pourtant menés à leur terme, mais à des conditions particulièrement problématiques. Le F-35, programme de chasseurs multirôle considéré comme le plus ambitieux de l’histoire militaire américaine, en est un exemple frappant : initialement prévu pour remplacer une large gamme d’appareils dans les forces aériennes américaines et alliées, il a vu ses coûts exploser, ses performances contestées, et ses délais démultipliés.
Il en va de même pour le programme Sentinel (remplaçant les ICBM Minuteman III), la frégate Constellation ou encore les nouveaux sous-marins de classe Columbia : tous partagent le même symptôme d’un écart croissant entre les ambitions affichées et les capacités réelles à les mettre en œuvre, tant du point de vue industriel que budgétaire.
C’est dans ce contexte déjà fortement fragilisé que le retour de Donald Trump à la présidence américaine, en janvier 2025, vient injecter un nouveau facteur d’incertitude. La construction du budget 2026 des armées américaines, pilotée par la Maison-Blanche et transmise au Pentagone, en offre une illustration spectaculaire : derrière les annonces de hausse budgétaire impressionnante (+15 % sur le volet défense, soit 960 Md$), on observe des arbitrages d’une radicalité inédite, des renoncements massifs, des contradictions internes, et surtout, une opacité de méthode qui déroute jusqu’aux représentants républicains du Congrès.
Le contraste avec la Chine ne saurait être plus brutal. Alors que Pékin déroule, année après année, une planification militaire cohérente, progressive et résolue, les États-Unis semblent, eux, s’enfoncer dans une spirale d’improvisation stratégique. Comme le soulignait Meta-Défense dans un article d’août 2024 intitulé “Le Pentagone, machine à perdre face à la Chine”, « l’accumulation des revers programmatiques et le brouillard doctrinal dans lequel baignent les armées américaines accentuent leur vulnérabilité face à une puissance chinoise qui n’a, elle, jamais perdu de vue son objectif stratégique principal : supplanter les États-Unis dans le rôle de puissance militaire dominante du XXIe siècle ».
Loin de représenter une simple inflexion de la trajectoire militaire américaine, le projet de budget 2026 présenté par l’administration Trump pourrait bien constituer une rupture profonde, voire une déstructuration silencieuse du modèle militaire américain lui-même. De l’US Air Force à l’US Navy, en passant par l’US Army et les alliances structurantes dans le Pacifique, c’est l’ensemble de l’architecture stratégique américaine qui se retrouve mise sous tension, dans un contexte international marqué par une instabilité croissante, des conflits interétatiques majeurs impliquant plusieurs puissances nucléaires, et la montée en puissance progressive — mais méthodique — de la Chine.
C’est à l’analyse de cette rupture que le présent article se consacre, en retraçant la logique du budget 2026, ses arbitrages les plus significatifs, ses effets politiques et industriels, et la recomposition stratégique qu’il pourrait bien précipiter… au profit d’un adversaire patient, mais implacable.
Un budget 2026 de rupture des armées américaines : plus massif… mais plus chaotique que jamais
Annoncé en avril 2025 par la Maison-Blanche, le projet de budget de défense des États-Unis pour l’année fiscale 2026 (qui débute en octobre) a immédiatement provoqué un vif débat au sein de la communauté stratégique américaine. En façade, ce budget constitue un effort sans précédent depuis la guerre froide : à hauteur de 960 milliards de dollars pour le seul Département de la Défense — soit une hausse de plus de 15 % par rapport à 2025 —, il marque un retour en force de la logique de puissance par l’investissement militaire.
Le président Trump, dans un discours prononcé depuis la base navale de Norfolk le 12 avril 2025, a présenté ce budget comme « l’outil de reconstruction le plus ambitieux jamais alloué à l’outil militaire américain depuis l’effondrement de l’Union soviétique ». Une enveloppe supplémentaire de 150 milliards est en effet prévue pour financer une nouvelle génération de programmes, parmi lesquels figurent le chasseur de 6ᵉ génération F-47, le bouclier antimissile Golden Dome, les systèmes hypersoniques ou les capacités de guerre électronique et spatiale avancées.
À première vue, ce budget semble donc répondre à une double logique : d’une part, relancer l’industrie de défense américaine pour stimuler l’emploi, les investissements et l’innovation ; d’autre part, adresser les menaces croissantes perçues autour du globe, notamment face à la Chine, à l’Iran ou à la Russie. Mais dès la transmission du projet au Congrès, les premières failles ont émergé. Comme l’a souligné l’International Institute for Strategic Studies dans une analyse publiée le 16 mai 2025, « la structure du budget FY2026 révèle une profonde contradiction entre ses objectifs affichés et les moyens réellement déployés pour y parvenir ».
En effet, les arbitrages transmis par l’exécutif et consolidés par le Pentagone ont mis en lumière une série d’impasses surprenantes, qui interrogent sur la cohérence réelle de la trajectoire capacitaire.
Plusieurs programmes jugés structurants par les forces armées américaines sont tout simplement absents du budget 2026 : aucun destroyer Arleigh Burke, pourtant pilier de la défense aérienne de zone et de la projection maritime ; aucune frégate Constellation, censée renouveler les capacités de présence océanique dans les zones contestées ; aucun sous-marin nucléaire d’attaque de classe Virginia, pourtant clef de voûte de la posture dissuasive sous-marine américaine dans l’Atlantique et le Pacifique. Cette absence a été dénoncée par plusieurs sénateurs lors des auditions parlementaires, comme le souligne Defense News.
La même logique de désarticulation se retrouve dans l’US Air Force. Alors que celle-ci voyait sa priorité confirmée sur les programmes de nouvelle génération comme le F-47, le B-21 Raider ou le programme CCA (Collaborative Combat Aircraft), le projet de budget propose de réduire de moitié le nombre de F-35A commandés par rapport à 2025 : seulement 24 unités sont prévues en FY2026, contre 48 l’année précédente, comme le rapporte Defense News. Cette réduction n’est pas anodine : elle compromet la soutenabilité industrielle du programme, alourdit le coût unitaire des appareils, et met en péril les objectifs d’équipement de l’USAF sur la prochaine décennie.
Il reste 75 % de cet article à lire, Abonnez-vous pour y accéder !
Les abonnements Classiques donnent accès aux
articles dans leur version intégrale, et sans publicité,
à partir de 1,99 €. Les abonnements Premium permettent d’accéder également aux archives (articles de plus de deux ans)
ABONNÉS : Si vous voyez ce panneau, malgré votre abonnement, videz le cache de votre navigateur pour régler le problème.
Auteur : Fabrice Wolf
Aller à la source