Quand la musique sonne le pas : l’armée, la nation et ses harmonies

Analyse Stratégique & Géopolitique

UNE FONCTION INITIALE : LA TRANSMISSION DES ORDRES


Depuis l’Antiquité, les instruments de musique sont utilisés sur les champs de bataille pour faire passer les ordres à distance. C’est ce que l’on appelle la musique céleustique, autrement dit l’art de faire passer les commandements au moyen de signaux sonores.

En France, l’usage réglementé des sonneries remonte au règne de François Ier (1515–1547), lorsque le tambour dit d’ordonnance est introduit dans l’armée. Sa mission essentielle est alors d’assurer la transmission des ordres. Chaque batterie – c’est-à-dire chaque signal au tambour – possède un rythme et une désignation spécifiques pour éviter toute confusion. Ces batteries pouvaient être exécutées à l’arrêt ou en marche, accompagnées de hautbois, de fifres ou plus tard de clairons.

Dans l’armée française, les sonneries permettent de signaler l’« entrée », la « charge » (à cheval ou à pied) ou encore la « chamade » (intention de capituler). Toutefois, depuis la Grande Guerre, on ne charge plus au son du tambour ou du clairon. Ces instruments étaient essentiels lorsque les troupes en formation de combat devaient évoluer sur le champ de bataille et qu’il n’existait pas d’autre moyen de transmettre les ordres. Comme le rappelle l’historien Thierry Bouzard dans une série de France Culture, « sous l’Empire, les musiciens étaient surnommés “loin des balles”, car leur rôle était principalement de transmettre les commandements par des signaux sonores. »

Cette fonction s’est poursuivie jusqu’à l’époque contemporaine : le premier « cessez-le-feu » de 1918 a ainsi été sonné par un clairon, quelques jours avant l’armistice.

À cela s’ajoutent d’autres signaux, dits sonneries régimentaires, qui sont destinés à rassembler les soldats d’un même régiment ou à leur transmettre des ordres précis. En effet, la vie militaire est ponctuée de cérémonies protocolaires. Parmi les plus connues figurent la sonnerie du réveil, le lever des couleurs, ou la sonnerie aux morts.

DEPUIS LOUIS XIV, LA MUSIQUE MILITAIRE DANS L’ÈRE DU DIVERTISSEMENT


C’est sous Louis XIV que la musique investit véritablement le champ militaire. Soucieux de prestige et de mise en scène, le Roi-Soleil décide d’introduire la musique au sein même de ses régiments pour sonoriser les manœuvres. Sous l’impulsion du compositeur et hautbois des Mousquetaires André Danican Philidor, des marches militaires sont composées pour accompagner les troupes. Il ne s’agit plus de céleustique mais bien d’accompagner des cérémonies et d’affirmer la cohésion des armées par un répertoire unifié, tout en suscitant un engouement populaire sur leur passage. Les musiques militaires investissent alors le champ du divertissement.

Cette fonction prend toute son ampleur durant la Première Guerre mondiale. Pour adoucir les conditions de vie dans les tranchées, des journaux publient des chansons à destination des soldats. Ces derniers reprennent souvent des airs populaires en modifiant les paroles, ce qui facilite leur diffusion dans les régiments. Des orchestres de tranchée sont formés, et des artistes sont envoyés au front pour jouer devant les soldats et les populations avoisinantes. Les thèmes abordés parlent d’espoir, de camaraderie, des femmes, du souvenir des proches… ou, plus rarement, de révolte.

LA MUSIQUE MILITAIRE, UN LANGAGE UNIVERSEL ET PATRIOTIQUE


La musique militaire joue un rôle fondamental dans la construction et l’expression du patriotisme. Bien au-delà de l’ornement sonore des cérémonies officielles, elle incarne la mémoire collective, l’unité nationale et la fierté républicaine.

L’un des événements où cette dimension symbolique est la plus forte est sans conteste le défilé du 14-Juillet sur les Champs-Élysées. Chaque année, cet instant solennel capte l’attention de millions de citoyens et concentre les regards sur les soldats, mais aussi les oreilles sur les musiques militaires.

À travers les marches, les chants et les sonneries qui accompagnent le pas cadencé des régiments, la musique devient une représentation sonore de la nation tout entière et participe aussi au lien entre cette dernière et l’armée, vecteur de cohésion nationale. Lors des grandes cérémonies, les musiques militaires deviennent un moment collectif fort, partagé entre citoyens et militaires. C’est évidemment le cas avec la Marseillaise, chantée lors de grands événements, dont le 14-Juillet, qui incarnent l’identité républicaine.

La musique militaire contribue aussi à préserver la mémoire historique. Les marches, les chants de guerre, les sonneries sont de véritables archives vivantes : ils rappellent les conflits passés, les victoires et les valeurs défendues par les générations précédentes. Ces répertoires, transmis et rejoués de génération en génération, participent à l’ancrage d’un récit commun.

Les formations musicales sont également des acteurs essentiels de la diplomatie. Lors de visites d’État, de commémorations internationales ou même de dîners officiels, elles sont souvent le premier contact qu’ont les délégations étrangères avec la France. La musique militaire devient alors un ambassadeur culturel, participant au rayonnement de la nation et entre nations.

LA MARSEILLAISE À WEMBLEY, OASIS AU STADE DE FRANCE


Par exemple, en juin 2017, quelques semaines après les attentats de Manchester et Londres, la Garde Républicaine française interprète « Don’t Look Back in Anger » d’Oasis au Stade de France à la mi-temps du match France-Angleterre. Ce geste d’hommage et de solidarité fait écho à celui du public britannique, qui avait entonné la Marseillaise à Wembley, en novembre 2015, après les attentats en France. À travers ces moments, la musique militaire devient un outil de dialogue et de cohésion entre peuples.

Aujourd’hui encore, la musique tient une place importante dans les armées. Chaque armée dispose de son orchestre officiel et sa musique et ses chants dépassent largement la seule fonction cérémonielle : ils sont mobilisés dans des concerts caritatifs, des projets solidaires, des actions mémorielles.

Elle participe au rayonnement des forces armées, au lien avec la population, et continue de transmettre une mémoire vivante. Depuis quelques années, la musique militaire se renouvelle avec de nouvelles compositions et des collaborations avec des artistes contemporains. En mariant tradition et innovation, elle enrichit son répertoire et reste en phase avec le public d’aujourd’hui. En témoigne la collaboration de la Garde républicaine avec Aya Nakamura lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024.

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Auteur : Adèle Thoumieux

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Cédric

Depuis 1998, je poursuis une introspection constante qui m’a conduit à analyser les mécanismes de l’information, de la manipulation et du pouvoir symbolique. Mon engagement est clair : défendre la vérité, outiller les citoyens, et sécuriser les espaces numériques. Spécialiste en analyse des médias, en enquêtes sensibles et en cybersécurité, je mets mes compétences au service de projets éducatifs et sociaux, via l’association Artia13. On me décrit comme quelqu’un de méthodique, engagé, intuitif et lucide. Je crois profondément qu’une société informée est une société plus libre.

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