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Pressions économiques, déserts informationnels… Reporters sans frontières alerte sur l’apparition d’une hécatombe mondiale des médias – L’Humanité

Middle East Broadcasting, Radio free Asia et Voice of America, trois médias états-uniens tournés vers l’international ont subi la guerre à la « bureaucratie » menée par l’administration Trump, qui a coupé son aide financière, samedi 15 mars. À Haïti, les journaux le National, le Nouvelliste et Radio Télé Pacific subissent des attaques régulières de groupes armées et la chute drastique de leurs revenus publicitaires.

En Argentine, la politique libertarienne et fasciste de Javier Milei a eu la peau de Télam, l’agence de presse nationale, contrainte de fermer ses portes le 1er juillet 2024. Sans compter le massacre systématique de journalistes originaires des territoires palestiniens, du Soudan et d’Ukraine, sous les bombes, la torture et les tirs.

« Les médias ne parviennent pas à atteindre une stabilité financière »

En l’espace d’un an, la fragilité économique comme humaine des médias à l’échelle mondiale a atteint un niveau rarement observé. L’organisation non gouvernementale (ONG) Reporters sans frontières (RSF) dévoile, vendredi 2 mai, son classement annuel de la liberté de la presse. Dans 160 des 180 pays analysés par RSF, « les médias ne parviennent pas à atteindre une stabilité financière », résume le rapport diffusé en complément du classement.

« Près d’un tiers des pays étudiés voit des médias locaux fermer régulièrement », ajoute Thibaut Bruttin, directeur général de RSF, interrogé par l’Humanité. Or, la tendance est globale selon le dirigeant de l’ONG spécialisée dans la protection de la presse : « Pour la première fois dans l’histoire de notre classement, les conditions d’exercice du journalisme sont mauvaises dans la moitié des pays du monde et satisfaisantes dans moins d’un pays sur quatre seulement. »

Les États-Unis chutent par exemple à la 57e place (-2), l’Argentine à la 87e (-21) et la Tunisie à la 129e place (-11). Sur les 32 pays et territoires de la zone Asie-Pacifique, vingt ont vu leur score économique baisser. Celui de l’Afrique subsaharienne connaît, lui aussi, une dégradation inquiétante : 80 % des pays de la région connaissent des difficultés financières qui se ressentent sur les médias locaux. Par exemple au Burkina Faso (105e, -19), au Soudan (156e, -7) ou au Mali (119e, -5), « où des rédactions sont contraintes à l’autocensure, à la fermeture ou à l’exil ».

La France, où une « part significative de la presse nationale est contrôlée par quelques grandes fortunes », souligne RSF, chute, elle, de la 21e à la 24e place. « Cette concentration croissante restreint la diversité éditoriale, accroît les risques d’autocensure et pose de sérieuses questions sur l’indépendance réelle des rédactions
vis-à-vis des intérêts économiques ou politiques de leurs actionnaires »
, alerte le rapport. Selon RSF, la propriété de médias est plus largement très concentrée, voire entièrement aux mains de l’État ou de milliardaires, dans 46 pays étudiés, de la Russie à la Tunisie, en passant par Hong Kong, le Pérou ou la Géorgie.

Le retour de Donald Trump à la Maison Blanche est un autre exemple de la nouvelle donne avec laquelle doit composer le champ médiatique. La fermeture ou réduction des moyens consécutifs des médias Middle East Broadcasting (à destination du Moyen-Orient), Radio free Asia (à destination de l’Asie) et Voice of America (à destination des États-Unis), couplé au démantèlement de l’Agence des États-Unis pour le développement international (Usaid) – le président des États-Unis a ordonné, début mars, le gel 83 % des programmes de l’Agence – « sont des contresens géopolitiques et aussi une faute morale », estime Thibaut Bruttin.

« Il est difficile de gagner sa vie en tant que journaliste »

Le directeur général de Reporters sans frontières y voit – en complément de la défiance que porte l’élu républicain pour l’indépendance de la presse – une motivation raciste. « Il a réussi à couper ces médias de leur principale main-d’œuvre, eux qui sont massivement opérés par des journalistes locaux, et donc étrangers, résume-t-ilIls les abandonnent à leur sort. »

En résulte l’apparition de déserts informationnels tant aux États-Unis que dans certaines régions du monde dépendantes de l’aide financière états-unienne, comme l’Ukraine. « Le journalisme local paie le prix fort de la récession économique : plus de 60 % des journalistes et experts des médias sondés en Arizona, en Floride, au Nevada et en Pennsylvanie, s’accordent à dire qu’il est « difficile de gagner sa vie en tant que journaliste » et 75 % que « la viabilité économique d’un média moyen est en difficulté » », révèle le rapport de RSF.

En Europe, les pouvoirs publics tiennent bon malgré la vague brune qui s’abat sur eux, note RSF. « En Tchéquie, on a utilisé toutes sortes d’arguments pour essayer de porter atteinte à la stabilité et à la pérennité du financement de l’audiovisuel public, y compris en invoquant à tort l’argument français, rappelle Thibaut Bruttin. Heureusement, la majorité actuelle – et on ne sait pas combien de temps elle durera face au rouleau compresseur Andrej Babiš (chef de file du parti populiste d’extrême droite ANO – NDLR) – a réussi à faire passer une loi pour augmenter la redevance de l’audiovisuel public. »

Si « on ne peut pas non plus parler de phénomène d’extinction », estime le directeur général de RSF, ce dernier demande que les pouvoirs publics s’emparent réellement du sujet. « Les gouvernements souvent nous disent : « Mais la liberté de la presse, c’est surtout la garantie que le gouvernement n’interfère pas avec les journaux, les télévisions et les radios. » C’est en partie vrai. Mais il est aussi attendu, dans les textes internationaux et dans les constitutions, que les gouvernements garantissent un cadre qui soit favorable à l’exercice du journalisme. » Au vu des résultats de cette nouvelle étude, les médias semblent plutôt abandonnés à leur sort.

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Auteur : Tom Demars-Granja

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Cédric

Depuis 1998, je poursuis une introspection constante qui m’a conduit à analyser les mécanismes de l’information, de la manipulation et du pouvoir symbolique. Mon engagement est clair : défendre la vérité, outiller les citoyens, et sécuriser les espaces numériques. Spécialiste en analyse des médias, en enquêtes sensibles et en cybersécurité, je mets mes compétences au service de projets éducatifs et sociaux, via l’association Artia13. On me décrit comme quelqu’un de méthodique, engagé, intuitif et lucide. Je crois profondément qu’une société informée est une société plus libre.

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