Mémoire, Histoire & Culture Militaire

« On disait : nous sommes empochés ou pochards », le 11 mai 1945, la poche de Saint-Nazaire est enfin libérée de l’occupation allemande

Alors que la France est progressivement libérée de l’occupant nazi au cours de l’été et de l’automne 1944, des territoires restent des bastions allemands. C’est ce qu’on appellera les poches, essentiellement des ports. La plus importante sera celle de Saint-Nazaire et de ses environs qui connaîtront 9 mois de guerre supplémentaires.

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Été 1944, Saint-Nazaire attend sa libération. Les alliés ont débarqué en Normandie le 6 juin et progressent à travers le pays.

Dans l’ouest, Rennes et Nantes sont libérés les 3 et 12 août. Une joie que ne connaîtra pas Saint-Nazaire, le sort de la ville portuaire est tout autre.

« Trois jours après la libération de Nantes le 12 août, c’est le débarquement franco-américain en Provence. Alors ces deux débarquements vont se rejoindre, explique Luc Braeuer, auteur et cofondateur du musée de la Poche de Saint-Nazaire, les Allemands s’en aperçoivent très vite ».

« Le 17 août, ils ont un ordre de repli général de toutes leurs forces du sud-ouest. Mais pas toutes. Il y a des forces qui ont reçu l’ordre différent. Rester dans les ports, empêcher que ces ports servent aux alliés pour amener davantage de matériel ».

« Pour la poche de Saint-Nazaire, on a environ 28 000 Allemands encerclés. Et ils se sont installés par exemple sur les hauteurs de Savenay, poursuit Luc Braeuer, ce qui fait qu’ils ont une vue sur toute la plaine jusqu’à Nantes. Et au nord, c’est une barrière naturelle en fait. La Villaine, le canal de Nantes à Brest, ils ont fait sauter tous les ponts début août 44. Il y a un petit ruisseau qui coule jusqu’à Cordemais. Et ça fait comme un immense fossé anti-char.

On ne peut pas pénétrer dans la poche avec des véhicules. A l’intérieur, il y a 130 000 civils à peu près qui sont coincés. À l’époque, on disait nous sommes empochés ou pochards. Et c’est de là que vient ce nom de poche de Saint-Nazaire

Luc Braeuer

Auteur et cofondateur du musée de la Poche de Saint-Nazaire

28 000 Allemands encerclés dans la poche de Saint-Nazaire

© France 3 Pays de la Loire

Michel Bugel avait 12 ans quand la poche s’est refermée. L’adolescent est confié à des proches installés en zone libre tout près. La ferme familiale, elle, est occupée.

« Notre maison a été transformée en blockhaus. Et c’est là qu’ils se reposaient. Ils allaient en ligne après, le long des fossés, dans les champs. Mais pour se reposer, ils se reposaient dans notre maison ».

« La vie dans la poche, c’est presque le Moyen Âge, témoigne Michel Bugel, car pour ne pas que ça bénéficie à la garnison allemande, les alliés autour ont coupé électricité, ravitaillement et autres, et font aussi des bombardements ».

« Mes parents, ça a été très très dur. Parce qu’il a fallu reconstruire : reconstruire la maison, reconstruire l’écurie, les hangars, parce que ça avait brûlé. Et ce qui n’était pas brûlé, c’était cassé ».

« C’est un peu la double peine pour les civils. D’abord l’occupation continue, plus le régime de l’état de siège, les réquisitions allemandes explosent, et beaucoup d’entre eux choisiront l’exil » en train, raconte Luc Braeuer.

La gare de Cordemais joue un rôle central dans l’histoire de la poche de Saint-Nazaire.

Octobre 1944, les femmes et les enfants sont autorisés à quitter la poche. Moins de bouches à nourrir pour l’occupant allemand.

Pour contrer tout acte de résistance, les rails sont montés et démontés après le passage de chaque convoi. 13 000 civils seront ainsi évacués vers Nantes.

« C’est le lieu emblématique du passage entre la zone occupée et la zone libre », explique Pascale Cormerais, adjointe au maire de Cordemais en charge de la culture.

La guerre se poursuit dans la poche pendant neuf mois avant la capitulation de l’Allemagne nazie.

« Les Allemands reçoivent l’ordre de capitulation générale qui a été signé d’abord à Reims le 7 mai, ensuite à Berlin en présence des Russes le 8 », explique Luc Braeuer.

« Ils reçoivent cet ordre et donc on organise l’entrée des alliés, mais ils ne peuvent pas rentrer comme ça, car les Allemands ont posé 28 000 mines autour de la poche. Donc il y aura un délai logistique de trois jours qui est fixé à Cordemais ».

La cérémonie de reddition se déroule à quelques kilomètres de Cordemais dans une prairie de Bouvron le 11 mai 1945. Les alliés entrent enfin dans la poche de Saint-Nazaire.

Reconstitution de la scène de la signature de l’acte de reddition à Cordemais 8 mai 45, photo prise le 8 mai 2025

© France 3 Pays de la Loire – Myriam N’Guenor

« Mais nous on a vu les Américains, nous les gamins, des tablettes de chocolat, des chewing-gums, ils nous prenaient pour des mendiants, parce qu’on n’avait rien. Et eux avaient tout. C’était du bon chocolat », se souvient Michel Bugel.

Ne pas oublier l’histoire de la poche. Michel Gauthier, historien de l’Association Souvenir Boivre Lancaster, a contribué à créer un chemin de la mémoire au sud du territoire, là où se sont joués des actes décisifs, comme la capitulation de ce côté-ci en mai 1945.

« Il y avait un témoin qui avait un appareil photo.C’était un soldat du 1er GMR. On voit en bas 11 négociateurs dans la nature. Donc on s’est dit que le meilleur endroit pour installer le panneau, pour expliquer cette histoire, c’était de l’installer à l’endroit où la photo a été prise ».

11 négociateurs lors de la capitulation en mai 1945

© Archives

Une source d’inspiration pour Michel Lefort, auteur d’un spectacle sur l’histoire de la poche, qui souhaite poursuivre ce travail de mémoire au nord du territoire.

« On a fait découvrir la pôle de Saint-Nazaire à travers ce spectacle. Puis on s’est dit à un moment donné, mais le spectacle, quand il va s’arrêter, il n’y aura rien, raconte Michel Lefort, auteur du spectacle Mauricette L’insoumise de la Poche de St-Nazaire. Donc on a réfléchi un petit peu. C’est là que l’idée est venue de faire un parcours. Et c’est après qu’on a vu que c’était fait au sud ».

Rappeler cette histoire oubliée, c’est la mission que s’est fixée la ville de Bouvron pour le 80e anniversaire de la libération de la poche.

« C’est notre devoir en tant que commune de promouvoir ce temps historique singulier, raconte Caroline Gastard, adjointe au maire de Bouvron en charge de la communication, de la vie économique et du patrimoine. L’histoire de la poche de Saint-Nazaire est finalement peu enseignée dans les livres d’histoire. J’espère que dans 10 ans, dans 20 ans, dans 30 ans, on sera en mesure encore de se souvenir de ça et de le commémorer comme il se doit ».

Commémorer et rappeler à tous que ce petit territoire a été le dernier de France et d’Europe à être libéré en 1945.



Auteur : Myriam N’Guenor

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Depuis 1998, je poursuis une introspection constante qui m’a conduit à analyser les mécanismes de l’information, de la manipulation et du pouvoir symbolique. Mon engagement est clair : défendre la vérité, outiller les citoyens, et sécuriser les espaces numériques. Spécialiste en analyse des médias, en enquêtes sensibles et en cybersécurité, je mets mes compétences au service de projets éducatifs et sociaux, via l’association Artia13. On me décrit comme quelqu’un de méthodique, engagé, intuitif et lucide. Je crois profondément qu’une société informée est une société plus libre.

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