“Mon grand-père a été déporté et guillotiné”, des pavés de la mémoire pour ne pas oublier les résistants Marcel et Lucienne Hacquard
Mercredi 7 mai, à Noidans-lès-Vesoul en Haute-Saône, deux pavés de la mémoire seront installés devant le dernier domicile de ces deux résistants. On vous raconte leur histoire.
8 mai 1945. L’Armistice signe la fin de la Seconde Guerre mondiale et la capitulation de l’Allemagne. Le conflit a fait 60 et 80 millions de morts. C’est, n’oublions pas, le plus meurtrier de l’histoire humaine. 80 ans après, l’heure est aux souvenirs. Souvenirs de ces hommes et femmes, tombés parce qu’ils étaient soldats, juifs, homosexuels, tziganes ou résistants comme Marcel Hacquard et Lucienne Avril.
La maison de Noidans-les-Vesoul où furent arrêtés en août 1942 les résistants Marcel Hacquard et Lucienne Avril.
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© Denis Parisot
Ce couple de Haute-Saône vivait dans une maison rue Georges Bonvallot à Noidans-lès-Vesoul quand il est arrêté. “Mon grand-père était agent du cadastre. Il se déplaçait pour son travail. Ils vivaient dans cette maison depuis quelques mois. Le 14 août 1942, ils sont arrêtés sur dénonciation” relate Denis Parisot l’un des petits-fils de Marcel Hacquard. Depuis une quinzaine d’années, ce septuagénaire et son frère se passionnent pour l’histoire de leurs grands-parents. Un site internet expose de nombreux documents sur leur parcours.
On n’a pas connu notre grand-père. Pour nous, c’était un grand absent. Il y avait sa photo dans la salle à manger. On n’osait pas poser de question à la grand-mère.
Pascal Parisot, petit-fils des résistants Marcel Hacquard et Lucienne Avril.
Tout à droite au premier rang, avec ses moustaches, le résistant Marcel Hacquard.
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© Famille Parisot
En 1942, trésorier de la SFIO dans son village, Marcel Hacquard, écrit et répond aux attaques et menaces des fascistes locaux. Il fait partie du réseau du Front national de l’époque, qui était proche du parti communiste. Il fait fonction d’agent de liaison. Avec Lucienne, son épouse couturière, ils hébergent des militants du réseau clandestin. Dans leur cave une ronéo, de l’encre et des réserves de papier pour imprimer les tracts appelant à résister, explique Denis Parisot.
Marcel Hacquard est guillotiné à 43 ans par les Allemands.
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© Famille Parisot
Arrêté par un policier des renseignements généraux français, Albert Ménard accompagné du capitaine Meissner de la Gestapo, Marcel Hacquard et sa femme Lucienne vont vivre l’enfer des camps. Le 28 septembre 1942 depuis la prison de Besançon dans le Doubs, il écrit cette lettre
Ma chère maman, mes chers petits, J’ai aujourd’hui la permission de vous écrire pour vous demander de m’envoyer aussitôt que possible quelques objets qui me sont bien utiles ; une chemise, un caleçon long d’hiver, une serviette de toilette et un bout de savon, un petit tricot sous-vêtement, un pull-over, car il commence à faire froid la nuit… Je suis en bonne santé et j’espère que vous êtes tous également bien portants. Je vous embrasse bien fort et j’envoie mille bons baisers à mon petit Pierre et à ma petite Madeleine que je serre fort dans mes bras.
Marcel Hacquard écrit depuis la prison de Besançon (extrait)
Marcel Hacquard est finalement déporté en Pologne à la prison de Breslau -Wroclaw en Silésie.Le 20 juillet 1944, à 18 heures et 12 minutes, il est exécuté, guillotiné par les nazis. Il a 43 ans. “Le corps de mon grand-père n’a jamais été retrouvé” regrette Denis Parisot, mais il ne désespère pas retrouver un jour les traces de ce grand-père dont on parlait peu au sein de la famille.
La carte de déportée de Lucienne Hacquard. Rescapée des camps, elle mourra à l’âge de 98 ans.
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© Famille Parisot
Lucienne sera, elle, déportée à Jawor en Pologne, près de Breslau, elle sera déplacée dans les marches de la mort vers Aichach au sud de l’Allemagne en hiver 1945, près de Munich. Lucienne reviendra vivante, in extremis, libérée le 29 avril 1945, par l’armée russe. Elle rentre dans son village, exténuée et y retrouve sa mère et ses deux enfants, Pierre et Madeleine.
Ma grand-mère était gentille, mélancolique, peu causante. À son retour des camps, elle était concentrée sur son chagrin et son combat pour rester en vie”.
Denis Parisot, petit-fils de Marcel et Lucienne Hacquard
2 mai 1945, Lucienne Avril écrit depuis les camps pour annoncer sa libération.
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© Famille Parisot
Devant la petite maison de Noidans-lès-Vesoul, deux pavés de laiton portant leur nom, la date de leur assassinat par l’Allemagne nazie seront scellés dans la chaussée. Que représentent ces deux objets d’une dizaine de centimètres carrés pour Denis, l’un des petits-fils du couple de résistants qui entretient leur mémoire ? “Cela matérialise que ça s’est passé là. Ça dit que cette horreur, ce ne sont pas des choses abstraites et lointaines, on est train de marcher à côté. Dans cette maison, il y a eu des drames. Pour moi, cela localise les choses et va donner une dimension humaine à mes grands-parents”.
Ces pavés de la mémoire sont nés d’un artiste allemand. Gunter Deming travaillait sur des projets de la mémoire des tsiganes déportés depuis Cologne en Allemagne. C’est dans cette ville qu’il a installé en toute illégalité une première pierre devant l’hôtel de ville en 1992. Sur une plaque de laiton, on pouvait y lire l’ordre de déportation des tsiganes pris par Himmler.
Ces pavés de la mémoire, appelés Stolpersteine sont fabriqués par un artiste allemand. On en trouve près de 100.000 en Europe.
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© Stolpersteine
D’autres pavés de la mémoire vont suivre. En mai 1996, une cinquantaine sont posés à Berlin. Depuis, plus de 100.000 pavés de mémoire ont été posés en Allemagne ainsi que dans 25 autres pays européens. Ils sont considérés comme le plus grand mémorial décentralisé du monde, détaille le site internet Stolpersteine. En France, depuis 2012, de nombreuses villes ont fait le choix d’y adhérer comme Bordeaux, Le Havre ou Rouen.
Le coût d’un pavé est de 132 euros. Il faut si l’on souhaite en installer un sur la voirie, obtenir l’accord de la mairie.
L’association Stolpersteine est joignable par internet ou par courrier
Mairie Stolpersteine
39 Rue Welschinger
67600 MUTTERSHOLTZ
Auteur : Sophie Courageot
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