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L’héritage chimique des obus des guerres mondiales, une bombe à retardement pour la santé et l’environnement

Des dizaines de milliers d’armes chimiques ont été jetées en Manche et mer du Nord après la Première et Seconde Guerre mondiale. Aujourd’hui, l’érosion de ces munitions est une menace pour l’environnement, la faune, la flore, mais aussi pour la santé humaine.

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Cent ans après la Première Guerre mondiale, les armes produites pour les deux conflits qui ont ravagé l’Europe constituent plus que jamais une menace. Un arsenal militaire, des bombes, des obus, jetés à la vas-vite dans les oubliettes des eaux maritimes. Plus de cent ans après, la France peine à prendre conscience du réel danger représenté par ces milliers de munitions immergées ou enfouies sous terre.

Au large de Dunkerque, régulièrement, des scientifiques plongent dans une des « zones interdites » par les autorités.

Ce jour-là, ils sont à quelques centaines de mètres de la plage de Zuydcoote (Nord). Ces chercheurs en biologie marine traquent les déchets de guerre émergés.

L’équipe de l’Odysseus 3.1.

© M. Grimaldi / FTV

Les plongeurs de l’association Odysseus 3.1 sont spécialisés dans la recherche et la dépollution. Son président, Lionel Rard raconte que : « sur ce site ont été déversées entre 10 et 15 000 tonnes de munitions, à la fois de la munition conventionnelle et de la munition chimique. Dans les années 1920-21, ces munitions étaient chargées à bord d’un navire, le « Ville de Gand », qui a fait plus d’une centaine d’aller-retours. » Mais ces cimetières marins d’obus ont rarement été référencés. L’immersion s’est souvent faite dans la précipitation.

La zone étudiée par l’association Odysseus 3.1

© M. Grimaldi / FTV

Malgré l’appui d’un robot, les recherches sont longues et difficiles. Trop de sédiments, trop de courant au large de Dunkerque. La mer du Nord ne dévoile pas ses secrets cette fois-là, les plongeurs remontent bredouilles : « Visibilité nulle jusqu’à 15 mètres. Rien du tout, on voit les particules en suspension. On trouvera la prochaine fois », lance l’un d’eux.

Le robot de recherche des munitions.

© M. Grimaldi / FTV

Des munitions immergées, parfois à quelques mètres de profondeur, parfois beaucoup plus.

Les archives départementales de Dunkerque sont un des terrains de jeu d’Olivier Saint-Hilaire, historien. Il a rédigé une thèse intitulée« Pollution des sols, déchets de guerre : une histoire environnementale, économique, anthropologique du désobusage ».

Olivier Saint-Hilaire, historien, spécialistes des déchets des guerres.

© M. Grimaldi / FTV

Il replace le choix de l’immersion dans le contexte de l’époque : « Au moment où l’armistice est signé, les industries tournent à plein régime et les dépôts sont déjà pleins de munitions. On sait, par exemple, que pour les Allemands les dépôts de munitions sont composés à moitié de munitions chimiques. Dans un premier temps, on immerge, mais on va s’apercevoir assez vite que les munitions sont de plus en plus dangereuses avec le temps. ».

Les munitions stockées après guerre.

© Archives départementales du Nord

Dans l’urgence de la fin de la guerre, les autorités vont imaginer une deuxième méthode d’élimination des obus, tout aussi polluante. Loin de la Côte d’Opale, dans l’Avesnois, l’historien accompagne Charlotte Nithart, la présidente de l’association de défense de l’environnement Robin des bois.

Dans la forêt de Trélon (Nord), il lui montre ce qui ressemble à une clairière. À cet endroit, dans les années 20, sous l’impulsion du gouvernement français, des entreprises privées brûlaient des obus chargés de TNT, d’arsenic, de phosphore et d’autres gaz de type moutarde.

La « Clairière » où rien ne pousse, cent ans après la destruction d’obus.

© S. Rosenstrauch / FTV

Pour preuve, une bouteille d’arsine trouvée sur place. « Ces bouteilles étaient prises dans le corps de l’obus, pris dans la gangue d’explosifs, et donc quand il était tiré, au moment où l’obus explosait, ça vaporisait l’arsine. On en retrouve les fragments ici, partout, sur ce sol qui est lui-même très abîmé », complète l’historien.

Une bouteille d’arsine.

© S. Rosenstrauch / FTV

Cent ans plus tard, rien ne repousse. « C’est impressionnant », s’étonne la présidente de l’association Robin des bois. « Quand c’est du conventionnel, la végétation reprend ses droits petit à petit, tandis que là, le sol a été brûlé, littéralement, chimiquement. Ça ne repousse pas, même très longtemps après », constate-t-elle.

 

Encore aujourd’hui, ce site de la forêt de Trélon regorge de morceaux d’explosifs.

© S. Rosenstrauch / FTV

C’est un site qui expose l’environnement, les animaux sauvages, voire les promeneurs, à des poussières, à une pollution. Il y a l’empreinte sur les sites, à cause des activités de destruction et de brûlage des munitions, mais bien au-delà, justement à cause des transferts par les eaux météorites, les eaux de pluie et les petits cours d’eau et les nappes phréatiques aussi, c’est susceptible de se retrouver jusque dans les eaux destinées à la consommation humaine.

Charlotte Nithart, présidente de l’association de défense de l’environnement « Robin des bois »

Cette méthode, qui permettait, en pleine reconstruction, de récupérer les métaux, est à l’origine aujourd’hui d’un désastre écologique de très long terme.

Un désastre pour l’environnement, cent ans après.

© S. Rosenstrauch / FTV

La défenseure de la nature, montre un ruisseau, proche de l’endroit où étaient détruits des obus contenant des gaz. « Voilà un siècle que ça ruisselle. Ça se déverse dans ce petit ruisseau ». Puis, elle affirme : « C’est un site qui expose l’environnement, les animaux sauvages, voire les promeneurs, à des poussières, à une pollution. Il y a l’empreinte sur les sites, à cause des activités de destruction et de brûlage des munitions, mais bien au-delà, justement à cause des transferts par les eaux météorites, les eaux de pluie et les petits cours d’eau et les nappes phréatiques aussi, c’est susceptible de se retrouver jusque dans les eaux destinées à la consommation humaine ».

Depuis 2019, la métropole européenne de Lille déconseille la consommation d’eau du robinet pour les nourrissons. Dans un communiqué, un lien direct était établi entre perchlorates et Première Guerre mondiale.

Au siège du bureau de recherche et de géologie minière (BRGM), à Orléans, la question de la contamination des sols est bien connue.

Daniel Hubé, ingénieur hydrogéologue au BRGM d’Orléans.

© S. Rosenstrauch / FTV

Daniel Hubé, ingénieur hydrogéologue, affirme : « Le Nord-Pas-de-Calais a été la région en fait pionnière. C’est là qu’on a découvert la présence d’ions perchlorate, en 2011, dans les eaux souterraines et dans les autres boissons. Et c’est là que les premières questions sur l’origine, d’où ça vient, ont émergé. C’est là où se sont déroulés les plus importants duels d’artillerie de la Première Guerre mondiale. Et donc à la fin de la guerre, il y a des quantités absolument colossales de munitions qui ont été abandonnées par les Allemands ».

À la fin de la guerre, il y a des quantités absolument colossales de munitions qui ont été abandonnées par les Allemands.

Daniel Hubé, ingénieur hydrogéologue au BRGM.

Il poursuit : « Où est-ce qu’elles ont été abandonnées ces munitions ? Dans les arrière-lignes allemandes, à l’est de la ligne de front, précisément là où on retrouve les perchlorates ».

Cet ingénieur précise que « localement, dans le Nord-Pas-de-Calais, on monte à 30, 40 ou 50 microgrammes par litre dans l’eau de boisson et dans la nappe ». Et que dans l’Aisne, il a mesuré « un captage d’eau potable jusqu’à 200 microgrammes par litre. C’est assez considérable ! ».

Insidieuse, cette dissémination d’engins explosifs est parfois beaucoup plus concrète. Dans les champs, tous les ans, les agriculteurs remontent avec leurs machines des obus tirés qui n’ont jamais explosé.

Ce tracteur a éventré une bombe contenant du gaz moutarde en 2021.

© S. Deboffles

C’est l’expérience traumatisante vécue par Cyprien Goubet à Quéant, dans le Pas-de-Calais, en avril 2021. Il était alors au volant de son tracteur en train de retourner la terre : « C’est l’outil qui va dans le sol qui a attrapé la bombe et qui l’a ouverte. C’était impressionnant de voir l’outil se relever tellement la bombe était grosse. J’ai vu, au loin, mon père qui avait compris que qu’on avait pris une bombe au gaz. Il courrait avec les bras en l’air en disant « sauve-toi ! Partez ! ». On a descendu le champ pour s’éloigner le plus rapidement possible du gaz ». Un ouvrier agricole a dû être hospitalisé et cinq personnes ont été intoxiquées au gaz moutarde.

La bombe coincée sous la machine agricole en avril 2021.

© FTV

Fataliste, l’historien Olivier Saint-Hilaire lâche : « C’est toujours la même chose avec les déchets de guerre. On cache ces déchets sous l’eau, dans des gouffres, sous terre, mais tôt ou tard, ces obus, ces bombes, ces grenades finissent toujours par réapparaître sous une nouvelle forme, comme la contamination des eaux et des sols ».

Il faudra 500 ans au moins pour ramasser les obus oubliés sous terre.

© FTV

Il faudra 500 ans au moins pour ramasser les obus oubliés sous terre… En mer, aucune solution technique n’a été trouvée pour les extraire. Chaque jour, l’érosion les détériore un peu plus et augmente la menace sur notre environnement.


durée de la vidéo : 00h07mn18s
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Terre et mer : Pollution chimique par les obus des grandes Guerres.

Reportage :O. Masure / S. Rosenstrauch / M. Dah / S. Hasnaoui / M. Grimaldi / Y. Lebloa / A. Da Fonseca



Auteur : Claire Chevalier

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Cédric

Depuis 1998, je poursuis une introspection constante qui m’a conduit à analyser les mécanismes de l’information, de la manipulation et du pouvoir symbolique. Mon engagement est clair : défendre la vérité, outiller les citoyens, et sécuriser les espaces numériques. Spécialiste en analyse des médias, en enquêtes sensibles et en cybersécurité, je mets mes compétences au service de projets éducatifs et sociaux, via l’association Artia13. On me décrit comme quelqu’un de méthodique, engagé, intuitif et lucide. Je crois profondément qu’une société informée est une société plus libre.

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