Les travaux de comité, contribution de l’IHEDN à la stratégie nationale

Analyse Stratégique & Géopolitique

Quelle que soit la formation qu’ils suivent (session nationale, sessions en région, sessions internationales, cycles jeunes ou en intelligence économique…), tous les auditeurs de l’IHEDN expérimentent le triptyque pédagogique en vigueur à l’Institut, en participant à :

  • des conférences de haut niveau ;
  • des visites de terrain ;
  • des travaux de comité.

Ces derniers constituent donc un temps fort de toute formation à l’IHEDN, d’autant que les meilleurs rapports ont vocation à alimenter la réflexion des autorités publiques. Dans cette perspective, les auditeurs élaborent une stratégie pour la France dans un domaine spécifique, fondée sur une analyse prospective et assortie à des recommandations opérationnelles.

Les sujets proposés aux auditeurs de la 4e session nationale (SN4, 2024-25) ont été articulés autour du thème d’étude annuel intitulé « La France au défi des ruptures stratégiques ». Articulés en quatre axes transverses (alliances et partenariats, moyens et organisations, accès aux ressources et technologies, résilience des sociétés), puis problématisés au sein de chaque comité, ils ont permis de poser les bases d’une stratégie générale.

Les 23 comités de la SN4 ont formulé au total 133 recommandations, déclinées en de nombreuses actions concrètes et inscrites dans des feuilles de route détaillées. Pour arriver à ce résultat, les auditeurs ont exploité la littérature sur le sujet de leur comité et se sont entretenus avec de nombreux experts et autorités du domaine concerné. Selon les majeures, un tuteur ou/et un expert-référent a accompagné la réflexion des auditeurs en leur apportant son expérience et son expertise.

Reflétant la diversité de la session nationale de l’IHEDN (cadres du secteur privé ou de la fonction publique, officiers des différentes armées et services, ingénieurs de l’armement, relais d’opinion…), chacun de ces comités est composé d’une douzaine d’auditeurs, et se réunit régulièrement tout au long de la session (de septembre à juin pour la SN). Dûment sourcé et référencé, leur rapport (d’une longueur de 50 à 100 pages) est présenté en fin d’année devant un jury composé de représentants de la direction de l’IHEDN et d’autorités concernées par la thématique en question.

Cette année, des rapports de comités viennent d’être envoyés, par exemple, à la Direction générale des entreprises (DGE) du ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, au Secrétariat général pour l’investissement et au Secrétariat général de la Mer (organismes interministériels placés sous l’autorité du Premier ministre), à la ministre déléguée à l’Intelligence artificielle et au Numérique, à la Direction générale des outre-mer, à l’état-major de la Marine nationale

Voici, pour chacune des cinq majeures de la session nationale, le résumé d’un rapport de comité et de ses recommandations.

Majeure Armement et économie de défense (AED)


Le comité 4 de la majeure AED a travaillé sur l’intelligence économique (IE), alternativement présentée comme « une dynamique, une culture, une méthode, un mode de pensée et d’action, une démarche », qui contribue à défendre les intérêts stratégiques de l’État. Compte tenu de la guerre économique mondiale déjà à l’œuvre et du dispositif national très tourné vers l’IE défensive au détriment du volet offensif, longtemps tabou, le comité a choisi d’élaborer une stratégie d’IE offensive, devenue incontournable dans le contexte mondial de désinhibition des rapports de force.

Outre l’optimisation d’une équipe France au niveau européen et d’une meilleure coordination interministérielle, le comité préconise de renforcer l’arsenal juridique, financier et économique pour défendre les intérêts européens et plus particulièrement français face à nos compétiteurs étrangers. C’est dans cette optique qu’une stratégie d’extraterritorialité pourrait être un outil de guerre économique particulièrement efficace, puisqu’il permettrait à l’Union européenne de rattraper son retard par rapport à ses principaux compétiteurs et de jouer à armes égales dans la présente guerre économique féroce.

Le comité préconise ainsi la mise en place d’un groupe de travail au niveau européen, et la création d’un organisme de type OFAC (l’Office of Foreign Assets Control, dépendant du département du Trésor des États-Unis, est un organisme de contrôle financier des avoirs étrangers). Un tel outil doté de moyens suffisants permettrait de faire appliquer les sanctions internationales européennes dans le domaine financier.

En parallèle, il est recommandé d’interdire le marché intérieur européen aux entreprises ne respectant pas le droit de l’UE, par des exclusions d’appels d’offres de marchés publics ou bien de retrait d’agrément ou de licence. De plus, étendre les critères de rattachement au droit européen représenterait un levier important face à nos compétiteurs. Enfin, il est suggéré d’appliquer des mesures réputationnelles (en complément des sanctions), dans une logique de name and shame, envers toute entreprise de pays tiers qui ne respecterait pas le droit de l’UE.

Une telle stratégie d’extraterritorialité suppose un changement de paradigme profond des élites françaises et européennes, ainsi qu’une approche holistique actionnant de nombreux leviers : organisationnel, politique, juridique, économique et financier. Le comité a convaincu le jury avec ces recommandations articulées de manière opérationnelle dans une stratégie précise et réaliste, dépassant les travaux actuels sur l’IE, jugé trop académiques.

Majeure Défense et sécurité économiques (DSE)


Le comité 4 de la majeure DSE note qu’en matière de résilience économique et de contribution des entreprises, la condition préalable à toute politique publique est d’assurer l’autonomie et la compétitivité de l’UE.

Sur ce socle qu’il pose comme acquis par ailleurs par hypothèse, il propose principalement une démarche systémique ambitieuse au niveau de l’UE pour inciter les entreprises à forger leur résilience : la mise en place d’un Corporate Resilience Act (CRA, loi pour la résilience des entreprises). En contrepartie d’engagements sur l’identification des risques, la cartographie des dépendances, ainsi que sur la définition et la mise en œuvre d’une stratégie d’adaptation et de transformation, les entreprises auraient accès à des financements européens dédiés.

Ce CRA serait substituable à la Directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité (CS3D) et à la Directive relative à la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises (CSRD), marquant ainsi la priorité de la survie économique face à des considérations importantes mais moins vitales. Le comité recommande d’autres mesures de moindre ampleur telles que la création de clusters résilience sectoriels et territoriaux ou le suramortissement des stocks.

Majeure Enjeux et stratégies maritimes (ESM)


Le comité 2 de la majeure ESM propose une stratégie nationale baptisée Éperon ayant pour but d’explorer, préserver et éventuellement, suivant le besoin, exploiter les ressources marines. Dans un contexte d’accroissement de l’intérêt porté aux fonds marins ainsi que de rupture technologique, l’une de leurs recommandations préconise une « approche duale pour la connaissance des fonds marins », afin de pouvoir ensuite mieux les protéger mais éventuellement, dans une certaine mesure, les exploiter.

L’approche duale du recueil de données serait ainsi effectuée dans un « esprit de complémentarité civilo-militaire et de mutualisation des informations ». Plusieurs acteurs sont déjà engagés sur la connaissance de ces espaces, en particulier la Marine nationale dans le cadre de la stratégie nationale des grands fonds marins (MFM), mais également le Service national d’hydrographie et d’océanographie (SHOM) ou encore de grands groupes industriels français tels qu’Orange ou RTE.

Cependant, le nombre élevé d’acteurs dans le domaine entraîne des objectifs et des méthodes de travail divergentes, voire des réticences à partager les données récoltées : la recommandation préconise donc d’instaurer une gouvernance des données nécessaires à la connaissance des fonds marins, qui serait assurée par le Secrétariat général de la mer (SGMer). Cette gouvernance pourrait s’appuyer sur le pôle d’excellence « grands fonds marins », dont la création a été préconisée par le rapport flash de l’Assemblée nationale de 2022 et retenue dans la stratégie MFM. Ce pôle d’excellence permettrait ainsi de clarifier le périmètre des données concernées par la gouvernance du SGMer ainsi que les règles de partage des données, tout en renforçant les échanges entre les acteurs publics et privés du domaine.

Majeure Politique de défense (POLDEF)


Le comité 3 de la majeure POLDEF a travaillé sur la stratégie d’alliances de la France. Leur réflexion a abouti à un aménagement des relations stratégiques en Europe et dans l’OTAN, mais a surtout donné lieu à une réflexion originale à l’échelle globale, avec des alliances choisies autour de sujets concrets.

Ainsi, ils ont proposé d’approfondir les liens militaires avec le Moyen-Orient avec « la création d’une École navale au Qatar, d’une Académie militaire de Saint-Cyr en Irak ou d’une École de l’Air à Abu Dhabi ». Ces établissements sous labels français permettraient de diffuser les concepts stratégiques français, asseyant son influence à long terme. Ils ont aussi imaginé la création d’une force navale binationale France-Brésil, destinée à lutter contre les trafics (idée qui pourrait être reproduite ou élargie à d’autres pays).

Enfin, ils ont suggéré d’approfondir la relation stratégique avec l’Indonésie en y prépositionnant des forces. Cette base était présentée comme « le chaînon manquant permettant de ‘relier’ la métropole, les Forces françaises aux Émirats arabes unis et les Forces armées en Nouvelle-Calédonie ». Ce comité a convaincu le jury par sa capacité à articuler vision globale et schéma tactique, faisant de leur rapport un véritable exercice de pensée stratégique.

Majeure Souveraineté numérique et cybersécurité (SNC)


Le comité 1 de la majeure SNC propose un plan d’action afin de disposer à l’horizon 2040 d’une capacité autonome dans le domaine de l’ordinateur quantique.

Partant d’une cartographie complète des expertises et initiatives françaises et européennes, l’objectif est celui de la maîtrise de composants critiques de la chaîne de valeur de l’ordinateur quantique, à titre national ou au travers de partenariats publics et privés.

Le plan d’action repose sur un calendrier coordonné, entre autres, avec celui de la mise à jour du plan stratégique de la Commission européenne et se décline en 5 actions principales, dont :

  1. Une démarche « Quantum for good » (science, santé…)
  2. La mise sur pied d’un « Hub du quantique » (coordination des acteurs, attraction et rétention des talents…)
  3. Une initiative « Quantum Start-up for Defence » à l’échelle européenne
  4. La structuration d’un « Airbus du quantique » à des fins d’industrialisation européenne pour un leadership mondial.

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Auteur : tanguy.morel@ihedn.fr

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Cédric

Depuis 1998, je poursuis une introspection constante qui m’a conduit à analyser les mécanismes de l’information, de la manipulation et du pouvoir symbolique. Mon engagement est clair : défendre la vérité, outiller les citoyens, et sécuriser les espaces numériques. Spécialiste en analyse des médias, en enquêtes sensibles et en cybersécurité, je mets mes compétences au service de projets éducatifs et sociaux, via l’association Artia13. On me décrit comme quelqu’un de méthodique, engagé, intuitif et lucide. Je crois profondément qu’une société informée est une société plus libre.

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