Les missiles balistiques Iskander-M russes mettent en défaut le Patriot américain au-dessus de Kyiv
Depuis son entrée en service en Ukraine, pour protéger les grandes villes du pays des attaques de missiles russes, le système antiaérien et antibalistique Patriot a été plébiscité, pour son efficacité, par les armées de Kyiv.
Les batteries Patriot livrées par les alliés européens, ont, en effet, obtenu de très bons résultats pour intercepter les missiles de croisière, ainsi que les missiles balistiques Iskander-M, lancés par la Russie contre des infrastructures civiles et militaires ukrainiennes. Même le missile Kinzhal, soi-disant trop rapide pour être intercepté, ne semblait pas devoir résister au Patriot américain.
Pourtant, la semaine dernière, les Patriot qui défendaient Kyiv, ont été pris en défaut. En effet, un seul des six missiles balistiques Iskander-M, qui visaient la capitale ukrainienne, a pu être intercepté par les batteries antimissiles américaines. Pire encore, les autres missiles fréquemment employés par la Russie, contre l’Ukraine, comme le Kalibr, le Kh-101 ou le Kinzhal, semblent, eux aussi, afficher des taux d’impact en progression sensible, ces dernières semaines, vis-à-vis des mois précédents.
Comment expliquer cette baisse sensible de l’efficacité des Patriot américains, face aux Iskander-M russes ? Pourquoi les frappes russes se sont-elles intensifiées, depuis plusieurs mois, contre l’Ukraine ? Et en quoi, ce constat devrait-il influencer les arbitrages d’équipement des armées européennes, en particulier dans le domaine antiaérien et antibalistique ?
La Russie lance plusieurs dizaines de missiles balistiques Iskander-M à courte portée sur l’Ukraine chaque mois
Il n’y a de cela que quelques mois encore, la question des stocks restants de missiles balistiques et de missiles de croisière, dans l’arsenal russe, semblait indiquer, selon les informations alors distillées par les services de renseignement ukrainiens et occidentaux, une probable pénurie dans ce domaine, dans les mois à venir.
Aujourd’hui, pourtant, c’est exactement le phénomène inverse qui se produit. En effet, chaque mois, la Russie lance plusieurs dizaines de missiles balistiques Iskander-M à courte portée, mais également de missiles de croisière navals Kalibr, et de missiles de croisière aéroportés Kh-101, contre les infrastructures ukrainiennes, aux côtés de presque 1800 drones d’attaque Geran et drones leurres, pour le seul mois de mars 2025.
Entre temps, la production industrielle russe pour ce type de munition conventionnelle à visées stratégiques, s’est considérablement accrue. Ainsi, le think tank britannique RUSI estime, à présent, que la production mensuelle de missiles balistiques Iskander-M, par la Russie, attendrait la cinquantaine d’unités par mois, celle de Kalibr et de KH-101, la quarantaine d’exemplaires chacune, auxquels il convient d’ajouter entre dix et vingt missiles balistiques aéroportés Kinzhal.
La production de drones d’attaque Geran, semble bien avoir dépassé les 500 à 600 exemplaires initialement envisagés. De fait, chaque mois, la Russie a la possibilité de lancer, sur l’Ukraine, de 130 à 150 missiles balistiques et de croisière, et certainement un millier de drones d’attaque, accompagnés d’autant de drones leurres, contre les infrastructures ukrainiennes, sans consommer son propre stock de munitions.
Corollaire de ce constat, si les combats devaient cesser en Ukraine, les armées russes seraient en capacité de constituer, très rapidement, un arsenal offensif stratégique conventionnel, qui s’étendrait de 600 Iskander-M, 500 Kalibr, 500 Kh-101, 200 Kinzhal et autour de 10,000 Geran, par an, leur conférant une puissance de première frappe formidable, notamment contre l’Europe, le cas échéant.
L’efficacité des systèmes Patriot ukrainiens s’est détériorée face aux Iskander-M et Kinzhal russes
Pour se prémunir de ces frappes, Kyiv ne peut, aujourd’hui, que s’appuyer sur les systèmes antiaériens fournis par ses alliés occidentaux. Dans ce domaine, le système Patriot américain s’avère particulièrement apprécié des militaires ukrainiens.
Celui-ci peut, en effet, s’appuyer sur des livraisons soutenues de munitions venant des alliés européens et américains de l’Ukraine, et d’une efficacité constatée, lors de l’arrivée de ces systèmes dans le pays, pour intercepter les missiles balistiques Iskander-M et Kinzhal russes.
Les derniers systèmes antibalistiques ukrainiens S-300PMU étant à court de munition, les deux seuls systèmes capables d’assurer cette fonction, dans le pays, sont le Patriot américain, et le SAMP/T franco-italien. Ce dernier souffre, cependant, d’une assise industrielle bien plus réduite que son homologue américain, limitant de fait son efficacité par manque de munitions.
Quoi qu’il en soit, pendant près d’une année, les batteries de Patriot qui protégeaient les grandes agglomérations ukrainiennes, comme Kyiv, remplirent leur fonction, en interceptant une majorité des missiles Iskander-M et Kinzhal envoyés par la Russie contre elles.
Mais ce n’est plus le cas. En effet, lors de la dernière attaque menée par 6 Iskander-M contre Kyiv, il y a quelques jours, les batteries Patriot protégeant la ville, ne sont parvenues à intercepter qu’un unique missile. Dans le même temps, il n’est plus fait état d’interception réussie de Kinzhal par le Patriot, depuis plusieurs mois, alors que le missile est toujours employé contre l’Ukraine.
Selon les autorités ukrainiennes, cette baisse très sensible de l’efficacité des Patriot, s’explique par des évolutions apportées aux deux missiles balistiques russes, ainsi qu’aux doctrines employées pour les mettre en œuvre. De toute évidence, ingénieurs et militaires russes ont appris de leurs échecs passés, et ont su trouver la parade pour prendre en défaut le système américain.
Les missiles de croisière Kh-101 aussi, sont plus difficiles à intercepter par les systèmes antiaériens occidentaux en Ukraine
Les missiles balistiques Iskander-M et Kinzhal ne sont pas les seuls à voir leur efficacité s’accroitre, face aux défenses antiaériennes ukrainiennes, ces dernières semaines. En effet, les missiles de croisière Kh-101 et Kalibr, semblent, eux aussi, afficher un taux d’impact supérieur, depuis quelques temps, lors des nombreuses attaques menées contre l’Ukraine.
Comme pour les missiles balistiques, il semblerait que ce regain d’efficacité soit autant le fruit de certaines évolutions technologiques apportées aux missiles eux-mêmes, que des tactiques employées par les russes, notamment dans la trajectoire suivie par ces missiles.
Même les drones d’attaque Geran, pourtant vulnérables, affichent à un présent un taux d’impact de l’ordre de 30 à 35 %, contre 10 à 15% il y a quelques mois, et ce, en dépit des progrès réalisés, côté ukrainien, pour brouiller les signaux de navigation satellites GLONASS utilisés par ces drones, pour leur navigation.
Ces attaques sont menées autant pour frapper les infrastructures ukrainiennes, que pour épuiser les défenses antiaériennes du pays. Ainsi, sur le seul mois de mars 2025, pas moins de 16 attaques massives de drones russes, employant de 117 à 194 drones, ont été lancées par les forces russes, avec une moyenne de 163 drones (et leurres), mis en œuvre par attaque.
Rappelons que les missiles de croisière Kh-101 et Kalibr, peuvent emporter des systèmes d’autoprotection, et spécialement des leurres thermiques, pour augmenter leur efficacité face aux défenses antiaériennes, et en particulier, face aux missiles à guidage thermique.
Les frappes stratégiques conventionnelles ont pris une place essentielle dans la doctrine russe à partir de 2023.
Si les armées russes, et soviétiques avant elles, ont toujours disposé d’un important stock de missiles balistiques à courte portée, et de missiles de croisière, l’état-major n’avait jamais, jusque-là, intégré la notion de frappe stratégique conventionnelle, contre les infrastructures civiles de l’adversaire.
Ainsi, si certaines infrastructures de communication et de transport ont été frappées par des missiles russes, au début de l’offensive contre Kyiv, en février 2022, celles-ci ne concernaient, dans leur très grande majorité, que des cibles d’intérêt militaire, pour limiter les moyens de communication et de déplacement des armées ukrainiennes.
À l’inverse, ce type d’attaque, sur les infrastructures civiles, ont fait partie, de longue date, de la doctrine américaine, comme elle fut notamment employée contre Bagdad en 1991 et 2003, ainsi que contre Belgrade, en 1999.
Toutefois, au cours de l’année 2023, l’état-major russe, qui faisait face à une très âpre résistance des militaires ukrainiens sur l’ensemble de la ligne d’engagement, entamèrent des campagnes de frappes contre ces mêmes infrastructures civiles ukrainiennes, spécifiquement énergétiques, en amont de l’arrivée de l’hiver.
Cette dynamique s’est accrue en 2024, pour devenir, en 2025, une composante majeure du rapport de forces entre Moscou et Kyiv, ce dernier s’étant, lui aussi, progressivement, doté de capacités similaires, pour attaquer les infrastructures énergétiques russes.
Les niveaux de production des missiles balistiques, missiles de croisière et drones d’attaque, en Russie, et surtout les très importants moyens qui sont attribués à cette seule fonction, aujourd’hui, démontre le basculement doctrinal profond de la part de l’état-major russe, pour s’appuyer sur ces moyens de frappe conventionnelle à vocation stratégique, c’es-à-dire pour atteindre des objectifs politiques, plutôt que militaires, en privant la société civile de ses moyens de subsistance (énergie, communication, transport…).
De toute évidence, Moscou estime, à présent, que cette compétence est au moins aussi essentielle que les forces mécanisées, l’artillerie ou les forces aériennes, en y consacrant, chaque année, une enveloppe sensiblement comparable qu’à ces autres domaines représentatifs, historiquement, de la puissance militaire du pays.
L’évolution permanente des systèmes d’arme, une nécessité qui plaide pour des armements européens pour les armées européennes
L’exemple de la baisse de l’efficacité des systèmes antiaériens occidentaux, face aux missiles russes, en Ukraine, montre, s’il était besoin, que dans un contexte de conflit armé s’étalant dans la durée, ou de course aux armements, l’évolution permanente des systèmes d’armes s’impose sur des cycles courts et permanents, pour s’adapter aux évolutions de l’adversaire.
Il ne fait guère de doutes, ainsi, que les Patriot américains évolueront, eux aussi, dans les prochaines semaines, pour répondre aux adaptations technologiques et doctrinales mises en œuvre, côté russe, pour les prendre en défaut, aujourd’hui.
Cela suppose donc, pour les armées, d’avoir l’assurance de disposer d’un lien privilégié et permanent avec les industriels qui produisent leurs équipements, pour être en mesure de répondre, dans les délais les plus brefs, à ces évolutions, ou pour se doter, un temps, d’un avantage opérationnel propre.
Ce cycle court de retour d’expériences, ou RETEX, a fait l’objet d’un soin tout particulier, de la part de l’état-major russe, à partir de 2015, et des interventions russes en Syrie et en Libye. Ceci permit, par exemple, aux défenses antiaériennes et antidrones qui protégeaient les emprises russes en Syrie, de rapidement s’adapter, suite aux premières utilisations de drones FPV, ou de tester certains équipements, encore en phase de développement, dans un contexte opérationnel.
Si certaines armées européennes, comme les armées françaises, travaillent, elles aussi, sur un modèle comparable, en s’appuyant sur leurs industriels de défense nationaux, une majorité d’entre elles ne peuvent s’appuyer que sur les évolutions réalisées par les industriels étrangers qui fabriquent leurs équipements.
De fait, au-delà des risques que font peser les arbitrages menés par de nombreuses chancelleries européens, en faveur d’équipements extraeuropéens pour leurs armées, au sujet des flux de pièces détachées et de réassort de munitions, en cas de conflit, l’exemple des Patriot en Ukraine montre, également, tous les risques que représente un équipement dont l’évolution repose sur un partenaire distant qui ne serait pas, lui aussi, impliqué dans le même conflit, avec le risque de ne disposer des réponses technologiques nécessaires, face aux évolutions adverses, que sur des longs délais, si tant est, que de telles évolution soient effectivement développées par l’industriel.
Conclusion
Depuis deux ans, maintenant, les armées russes ont entamé un glissement pour se rapprocher des doctrines employées, jusqu’à présent, par les États-Unis, avec l’utilisation de plus en plus récurrente, et massive, de moyens de frappes à longue portée, pour attaquer et détruire les infrastructures civiles de l’adversaire.
Pour y parvenir, Moscou a considérablement développé ses moyens de production de missiles balistiques, missiles de croisière et drones d’attaque, au point qu’elles dépassent, à présent, de beaucoup, la production de missiles antimissiles sur l’ensemble du continent européen.
Jusqu’à présent, les systèmes antimissiles occidentaux semblaient afficher des performances remarquables, face aux missiles et drones russes, avec des taux d’interception excédant souvent les 80% à 90%, même face aux missiles balistiques Iskander-M et Kinzhal, les plus difficiles à détruire.
Pourtant, ces dernières semaines, il semblerait que ce taux d’interception soit en chute libre. Ainsi, seul un des six missiles Iskander-M, lancés par la Russie contre Kyiv, la semaine dernière, a pu être intercepté par les systèmes Patriot déployés par les armées ukrainiennes autour de leur capitale.
Selon les ukrainiens, cette contre-performance s’expliquerait par des évolutions apportées aux missiles russes, ainsi qu’aux tactiques employées pour les mettre en œuvre, pour prendre en défaut les Patriot américains. Ce qui laisse supposer que d’éventuelles, mais très probables, futures frappes russes contre la ville, obtiendront, elles aussi, une très grande efficacité.
Reste à voir, à présent, comment, et surtout quand, les ingénieurs américains de RTX et LM pourront répondre aux évolutions des missiles et doctrines russes, pour redonner aux systèmes Patriot défendant Kyiv, l’efficacité requise.
Cet épisode montre, une fois de plus, à quel point le lien entre les armées et les industriels, fabricants leurs équipements, est essentiel à la conduite d’opérations militaires dans la durée. Un paramètre décisif qui, pourtant, n’est, aujourd’hui encore, que marginalement pris en compte, par les armées et décideurs politiques européens, lorsqu’ils privilégient l’achat de systèmes d’arme extra-européens, pour équiper leurs troupes.
Article du 8 avril en verison intégrale jusqu’au 12 mai 2025
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Auteur : Fabrice Wolf
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