Le Tchad dénonce ses accords de coopération militaire avec la France – Zone Militaire
En janvier 2009, dans le droit fil du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale [LBDSN] publié quelques mois plus tôt, le président Sarkozy annonça que la France réduirait drastiquement sa présence militaire en Afrique et que les accords de défense conclus avec plusieurs pays africains à la suite de leur indépendance allaient être revus. « Je veux être certain que chaque soldat français, aujourd’hui engagé en opération extérieure, l’est conformément aux intérêts du pays. […] Il ne s’agit pas de maintenir le déploiement extérieur de nos forces au-delà de ce qui est nécessaire, au-delà de ce qui est utile », avait-il affirmé, en janvier 2009.
Alors qu’il était question d’adopter une logique de partenariats avec les forces armées africaines avec l’instauration de « pôles opérationnels de coopération » [POC] régionaux, les Forces françaises du Cap-Vert [FFCV] devinrent les « Éléments français au Sénégal » tandis que, en Côte d’Ivoire, le 43e Bataillon d’Infanterie de Marine [BIMa] fut dissous. La présence militaire française au Tchad fut même remise en cause par Alain Juppé, alors ministre des Affaires étrangères, l’opération « Épervier » n’ayant, selon lui, plus de raison d’être.
La progression des groupes jihadistes dans le nord du Mali mit un coup d’arrêt à cette politique, Paris ayant lancé, à la demande de Bamako, l’opération « Serval ». Celle-ci prit le nom de « Barkhane » en 2014 et fut étendue à l’ensemble de la bande sahélo-saharienne [BSS].
Seulement, dans un contexte marqué par une lutte informationnelle menée notamment par la Russie [et, dans une moindre mesure, par la Turquie], la France dut retirer ses troupes de Centrafrique, du Mali, du Burkina Faso et du Niger. Cela étant, en février 2023, le président Macron renoua avec les intentions affichés par M. Sarkozy en annonçant une « diminution visible » de la présence militaire française en Afrique et la mise en place d’un « nouveau modèle de partenariat » afin de favoriser la « montée en puissance des forces africaines ».
Cette évolution était, a priori, demandée par l’État-major des armées [EMA]. Il « convient de baisser la visibilité de la présence française en évitant de localiser des bases dans les capitales. […] Nous passons donc d’une logique de déploiement permanent à des déploiements temporaires de forces exécutant des missions, avec l’appui d’un socle beaucoup plus réduit et moins visible », a encore récemment expliqué le général Thierry Burkhard, le chef d’état-major des armées [CEMA], lors d’une audition au Sénat.
Dans le détail, il est désormais question de faire passer les effectifs militaires français en Afrique de 2 300 à 600 militaires, à savoir 300 au Tchad, 100 au Gabon, 100 en Côte d’Ivoire et 100 au Sénégal. Sauf que la France pourrait bien être contrainte d’aller plus loin…
En effet, dans un entretien donné à l’AFP, le président du Sénégal, Bassirou Diomaye Faye, a, sans aller jusqu’à parler de rupture, évoqué une « mise à jour prochaine de la doctrine de la coopération militaire », laquelle impliquerait qu’il « n’y ait plus de bases militaires de quelque pays que ce soit au Sénégal ». En clair, les militaires français seront priés de plier bagage… Et tant pis pour l’aide apportée par la Marine nationale [via un Falcon 50] aux autorités sénégalaises pour lutter contre la pêche illégale…
« Pourquoi faut-il choisir les uns ou les autres et pas les uns et les autres ? […] Aujourd’hui, nous voulons travailler avec tous ceux qui peuvent investir et contribuer à créer de la richesse au Sénégal. Ce qui nous importe, c’est qu’ils respectent notre souveraineté et nos normes sociales », a par ailleurs justifié Bassirou Diomaye Faye.
« Nous avons une coopération avec les États Unis, la Chine ou encore la Turquie sans que ces pays n’aient de base sur notre sol. Nos relations restent néanmoins au beau fixe. Est-ce que la France est capable de faire cela ? », a fait valoir le président sénégalais, qui aurait pu aussi citer la Russie, avec laquelle il envisagerait de conclure un accord militaire.
Le Sénégal n’est pas le seul à être sur cette ligne : le 28 novembre, le Tchad a fait part de son intention de mettre un terme à l’accord de coopération de défense qui le lie à la France depuis plus de soixante ans. Cette annonce a été faite alors que le chef de la diplomatie français, Jean-Noël Barrot venait d’effectuer une visite à N’Djamena.
« Le gouvernement du Tchad a décidé de mettre fin à l’accord de coopération en matière de défense signé avec la France », a ainsi fait savoir le ministère tchadien des Affaires étrangères, via un communiqué. Et d’ajouter : « Le Tchad, conformément aux dispositions de l’accord, s’engage à respecter les modalités prévues pour sa résiliation, y compris le délai de préavis, et à collaborer avec les autorités françaises afin d’assurer une transition harmonieuse ».
Cela étant, a-t-il assuré, les « relations historiques » et les « liens d’amitié » entre la France et le Tchad ne sont en aucun cas remis en question par [cette] décision ».
La France a toujours soutenu le président Idriss Déby Itno, mort dans des circonstances qui n’ont jamais encore été précisément établies. Et elle a fait preuve d’une certaine mansuétude quand son fils, Mahamat Idriss Déby, a pris la tête d’un Conseil militaire de transition afin de lui succéder. Visiblement, ce dernier entend donc s’affranchir des liens militaires avec Paris…
Cela étant, cette évolution était plus ou moins dans l’air depuis quelques temps. En janvier, lors d’une visite à Moscou, Mahamat Déby Itno avait affirmé que le Tchad était un pays « frère » de la Russie et qu’il était prêt à renforcer ses relations avec cette dernière.
« Le Tchad est parmi les pays africains un partenaire potentiel, toutes les possibilités de nos échanges sont loin d’être révélées, nous sommes déterminés à continuer d’élargir nos interactions avec les pays africains », avait ensuite commenté Dmitri Peskov, le porte-parole du Kremlin.
Trois mois plus tard, les forces spéciales américaines, installées sur la base « Sergent chef Adji Kosseï », à N’Djamena, qui est une « plaque tournante » pour les activités de contre-terrorisme et de renseignement au Sahel, furent fermement invitées à quitter le Tchad.
À noter que, dans le même temps, la Hongrie a aussi noué des relations militaires avec le Tchad, où elle doit déployer 200 soldats pour « renforcer les capacités de l’armée tchadienne et soutenir la lutte contre le terrorisme ».
Sur ce point, et outre les groupes rebelles toujours actif dans la région du Tibesti [et contre lesquels la France étaient encore intervenue militairement en février 2019, ndlr] le Tchad reste aux prises avec les factions jihadistes issues du groupe nigérian Boko Haram. En octobre, celles-ci ont lancé une attaque contre une base militaire située sur l’île de Barkaram [Lac Tchad]. Attaque qui a fait au moins 40 tués dans les rangs tchadiens.
« Le gouvernement appelle la communauté internationale à intensifier son soutien et à renforcer l’aide dans la lutte contre le terrorisme en particulier dans la région du Sahel et du bassin du Lac Tchad », avait alors réagi N’Djamena. « La France se tient aux côtés du Tchad dans la lutte contre le terrorisme », avait réagi Paris, en adressant ses condoléances aux autorités tchadiennes.
Auteur : Laurent Lagneau
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