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L’armée de l’Air et de l’Espace va s’entraîner à faire la chasse aux aérostats hostiles dans la très haute altitude – Zone Militaire

Lors d’un colloque organisé à l’École militaire en janvier 2023, soit quelques jours avant l’affaire du ballon chinois abattu par un F-22A Raptor de l’US Air Force après avoir survolé les États-Unis, le général Stéphane Mille, alors chef d’état-major de l’armée de l’Air & de l’Espace [CEMAAE], avait annoncé qu’une doctrine allait être élaborée d’ici « quelques mois » pour répondre aux enjeux de la « Très haute altitude » [THA].

Comprise entre 20 et 100 km d’altitude, c’est-à-dire entre la fin de l’espace aérien contrôlé et le début de l’espace extra-atmosphérique, cette zone est susceptible de devenir un nouveau domaine de conflictualité en raison du manque de clarté du cadre juridique censé la réglementer, faute de consensus sur ses limites.

Or, pour les opérations militaires, la THA présente plusieurs avantages, que ce soit pour le renseignement [les capteurs emportés, par exemple, par un aérostat, ont des performances accrues par rapport à ceux des satellites car situés plus près de la terre], les télécommunications et la guerre électronique. En outre, cette zone « grise » peut être traversée par des missiles balistiques ou bien encore par des planeurs hypersoniques.

À noter que, outre les aérostats chinois, la THA est aussi exploitée depuis longtemps par les États-Unis, avec notamment les avions espion U2 [qui vole à 80 000 pieds d’altitude] et SR-71 Blackbird [plafond de 85 000 pieds].

« Jusqu’à présent, la très haute altitude n’était pas exploitée ou très peu, mais avec la multiplication des projets de ballons atmosphériques, de drones de très haute altitude, de planeurs hypersoniques ou de satellites en orbite basse, il faut ouvrir une réflexion et éviter demain une potentielle lacune capacitaire », avait soutenu le général Mille, il y a maintenant plus de deux ans.

Depuis, peu de choses ont été dites au sujet des réflexions menées par l’armée de l’Air et de l’Espace au sujet de la THA, si ce n’est que la Loi de programmation militaire [LPM] 2024-30 prévoit une actualisation de la stratégie spatiale de défense [SSD] afin de prendre en compte ce domaine et que la vision stratégique de l’actuel CEMAAE, le général Jérôme Bellanger, parle de « penser » la « résilience » et la « capacité d’action tout le long de ce continuum d’altitude », c’est à dire du « sol à l’orbite géostationnaire ».

À l’occasion du salon international de l’aéronautique et de l’espace [SIAE] du Bourget, le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, a dévoilé les grandes lignes de cette doctrine pour la THA. Celle-ci repose sur trois piliers : la détection, l’interception et l’exploitation.

S’agissant de la détection, M. Lecornu a annoncé un investissement de 2 millions d’euros pour relancer le développement du radar transhorizon « Nostradamus », dont les antennes occupent une surface de 12 hectares dans le périmètre d’une ancienne base de l’Otan située près de Dreux depuis les années 1990. Cet équipement, mis au point par l’ONERA, est capable de détecter des objets volants – y compris des bombardiers furtifs B2 – à une distance comprise entre 500/800 et 2 500/ 3 000 km, sur 360 degrés.

« L’actualisation des travaux sur le radar transhorizon Nostradamus offre l’opportunité d’une capacité souveraine de détection dans la très haute altitude. Il possède un déclinaison européenne au travers du projet I-FURTHER [hIgh FreqUency oveR The Horizon sensors’ cognitivE netwoRk] auquel l’ONERA contribue », précise le centre de recherche aérospatial français.

Les radars de poursuite et de veille, y compris ceux mis en œuvre par les frégates de défense aérienne de la Marine nationale, ainsi que des satellites, contribueront également à la détection et à l’identification des menaces dans la THA.

Quant au volet « exploitation », il vise à renforcer la supériorité des forces françaises en exploitant le potentiel de la THA, que ce soit en matière de renseignement, de télécommunications [en permettant d’établir une bulle de connectivité, par exemple], de guerre électronique, voire de frappe dans la profondeur.

« Le largage depuis la THA d’armements air-sol et/ou d’effecteurs de guerre électronique offensive pourrait offrir une solution complémentaire à coût modéré de frappe dans la profondeur, afin de contribuer, par exemple, à la sécurisation de la pénétration de raids de chasseurs ou d’armements. Certains développements effectués à l’étranger semblent démontrer la viabilité du concept. La société Canadienne Landing Zone Canada, par exemple, a développé le système Eagle de livraison de charges utiles depuis un ballon stratosphérique », lit-on dans la stratégie des armées pour la très haute altitude, que le ministère des Armées vient de publier.

Lors de son intervention au SIAE du Bourget, M. Lecornu évoqué trois projets capacitaires, dont deux vont être « accélérés » dès cette année, à savoir le ballon stratosphérique manœuvrant BALMAN qui, conçu par Hemeria sous la maîtrise d’ouvrage du Centre national d’études spatiales [CNES], a effectué son premier vol en novembre 2024, et le pseudo-satellite [ou HAPS, pour High altitude permanent system] Zephyr, développé par le britannique Qinetiq avant d’être repris par Airbus.

D’une masse de seulement 75 kg pour une envergure de 25 mètres, le Zephyr est capable ut voler à 76 100 pieds d’altitude [plus de 23 km] pendant plusieurs dizaines de jours grâce à un moteur alimenté par une batterie Li-S [lithium et soufre], rechargée durant le jour par des panneaux solaires. Il emporte une charge utile pouvant être constituée de liaisons de données, de systèmes de guerre électronique, d’un radar à ouverture synthétique, d’un LIDAR [Laser Imaging Detection And Ranging] et autres capteurs optroniques. Au passage, la Marine nationale a fait part de son intérêt pour ce pseudo-satellite en 2019, via son plan stratégique Mercator.

Cela étant, s’il a donné le détail des applications possibles du BALMAN, M. Lecornu s’est montré plus discret sur les cas d’usage du Zephyr, ceux-ci étant en grande partie « classifiés ». Quant au troisième projet, il s’agit du Stratobus, une sorte de dirigeable autonome qui, pouvant emporter une charge de 200 kg, est développé par Thales Alenia Space depuis 2014. Destiné à un usage militaire durci, il va bénéficier d’une enveloppe de 10 millions d’euros, avec l’objectif qu’il soit opérationnel d’ici 2030.

Enfin, détecter des menaces dans la THA est une chose. Encore faut-il avoir les moyens de les intercepter, voire de les neutraliser. Pour l’armée de l’Air & de l’Espace, il s’agit surtout de se réapproprier – et d’améliorer – cette capacité. Dans les années 1960, l’un de ses Mirage IIIE, équipé d’un moteur-fusée SEPR, avait en effet intercepté, à 67 000 pieds d’altitude, un U-2 qui survolait des sites nucléaires français.

Ainsi, l’AAE va engager des Mirage 2000-5F et des Rafale dans des campagnes de tirs dédiées à la THA, avec le concours du Centre national d’études spatiales [CNES], qui fournira des ballons censés servir de cibles. « Ces chasseurs seront opérés depuis les bases aériennes. Le but : fournir aux armées une première capacité opérationnelle », explique le ministère des Armées.

Plus précisément, il s’agira d’étendre les « capacités actuelles d’interception air-air » de ces avions de combat, grâce à certaines évolutions permettant de meilleures détections et accrochages ou des excursions en altitude au-delà des domaines de vol aujourd’hui autorisés ».

« Des des simulations et des campagnes d’essais et expérimentations seront conduites par la Direction générale de l’armement et l’AAE dès 2025 […], afin d’identifier les caractéristiques à améliorer en priorité des missiles et capteurs actuels pour réaliser des interceptions de HAPS », est-il précisé dans la stratégie pour la THA.

L’Indian Air Force s’est déjà livrée à de tels exercices, l’un de ses Rafale, armé de missiles air-air à longue portée Meteor et MICA [d’une portée d’environ 80 km], ayant abattu un ballon évoluant à plus de 55 000 pieds.

En outre, quelques mois avant de quitter ses fonctions de CEMAAE, le général Mille avait assuré que la France avait déjà « les moyens d’intervenir tout comme les Américains le firent à l’égard du ballon chinois ». Et d’ajouter, devant les sénateurs : « Nous n’avons donc pas besoin d’aller très au-delà de nos capacités actuelles ».

Seulement, l’objectif est aussi d’anticiper une course aux armements dans la THA. D’où la nécessité de développer d’autres capacités d’interception et de neutralisation. Ainsi, l’utilisation des lasers de surface développés pour le spatial dans le cadre du programme Syderal, est envisagée. De même que celle du système SAMP/T NG [Sol Air Moyenne Portée / Terrestre de nouvelle génération] pour contrer les menaces hypersoniques.

« D’autres moyens d’interception, plus innovants et complémentaires, doivent sans aucun doute être imaginés pour faire face à ce nouvel espace de conflictualité. L’utilisation à ces fins de mini-lanceurs utilisés en lancement réactif pourrait ainsi être imaginée. Pour explorer l’univers des possibles, l’Agence d’innovation de défense lancera début 2026 un hackathon sur le sujet des capacités d’interception dans la THA », conclut la stratégie des armées pour la très haute altitude.



Auteur : Laurent Lagneau

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Cédric

Depuis 1998, je poursuis une introspection constante qui m’a conduit à analyser les mécanismes de l’information, de la manipulation et du pouvoir symbolique. Mon engagement est clair : défendre la vérité, outiller les citoyens, et sécuriser les espaces numériques. Spécialiste en analyse des médias, en enquêtes sensibles et en cybersécurité, je mets mes compétences au service de projets éducatifs et sociaux, via l’association Artia13. On me décrit comme quelqu’un de méthodique, engagé, intuitif et lucide. Je crois profondément qu’une société informée est une société plus libre.

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