Vie Militaire & Défense

La stratégie industrielle de Rheinmetall est-elle un exemple ou un danger pour l’Europe ?

À l’occasion du Salon du Bourget 2025, le groupe allemand Rheinmetall, plus habitué du salon Eurosatory, a annoncé la signature d’un partenariat stratégique avec l’entreprise américaine Anduril, portant sur la production et la commercialisation en Europe des missiles de croisière Barracuda et des drones de combat Fury. Cette annonce a rapidement attiré l’attention, tant elle illustre une nouvelle étape dans la dynamique de diversification et d’expansion du groupe allemand.

Après la signature surprise en 2023 d’un contrat stratégique avec Lockheed Martin, portant sur la production en Allemagne de fuselages centraux pour les F-35A acquis par la Luftwaffe, il s’agit d’un nouveau signal fort. Non seulement Rheinmetall renforce ses capacités industrielles transatlantiques, mais il démontre aussi sa volonté d’accélérer encore sa transformation, dans une industrie européenne de défense en pleine recomposition.

Rheinmetall, dont les performances boursières, industrielles et commerciales dépassent aujourd’hui celles de la plupart de ses concurrents européens, entend bien s’imposer comme le nouveau leader continental de l’industrie de défense d’ici à 2030, avec un objectif de 40 Md€ de chiffre d’affaires. Cette ambition est portée par une croissance exceptionnelle depuis 2018, une stratégie d’investissement audacieuse, et une vision industrielle en rupture avec les modèles traditionnels encore largement en vigueur en France, au Royaume-Uni ou en Italie.

Souvent honni dans l’Hexagone pour son rôle d’obstruction dans le programme franco-allemand MGCS, et critiqué pour sa stratégie d’éviction progressive de KMW dans les grands projets blindés, Rheinmetall n’en incarne pas moins un modèle inédit de développement, mêlant agressivité industrielle, captation des flux transatlantiques et capacité à anticiper les mutations structurelles du marché mondial de la défense.

Mais cette stratégie, si elle s’avère objectivement efficace pour les investisseurs et le groupe industriel lui-même, sert-elle réellement les intérêts de l’Allemagne ? Et plus largement, est-elle compatible avec les enjeux d’autonomie stratégique européenne que Berlin prétend vouloir défendre ? En d’autres termes, Rheinmetall est-il le levier d’une Europe de la défense en renouveau, ou bien le cheval de Troie d’une dépendance stratégique renforcée vis-à-vis des technologies extra-européennes ?

En septembre 2024, lors de la présentation des résultats semestriels, le CEO de Rheinmetall, Armin Papperger, affichait un large sourire. Le groupe allemand enregistrait alors la plus forte croissance de toute la base industrielle et technologique de défense (BITD) européenne depuis 2018, avec un chiffre d’affaires passé de 3,4 Md€ à 6,1 Md€ entre 2018 et 2023 — une progression de près de 80 %, à comparer avec une moyenne de 20 % pour l’ensemble du secteur en Europe, et 40 % pour le second du classement, l’italien Leonardo.

Armin Pappeger Panther Lynx
Depuis son arrivé à la tete de l’entreprise, Armin Papperger a fait progresser le Ca de Rheinmetall de plus de 120 % (2012->2025)

Cette croissance insolente autorisait le dirigeant à annoncer des prévisions particulièrement ambitieuses : 10 Md€ de chiffre d’affaires en 2024, et un objectif de 40 Md€ à l’horizon 2030, ce qui ferait de Rheinmetall, de très loin, le premier groupe industriel de défense européen, surpassant les géants établis que sont BAE Systems, Leonardo, Thales ou même Airbus Defence and Space.

Les résultats consolidés de l’exercice 2024, publiés au printemps 2025, ont confirmé ces ambitions. Le groupe a annoncé un chiffre d’affaires consolidé de 9,751 Md€, en progression de 36 % par rapport à 2023, et même de +50 % dans le seul domaine de la défense. La marge opérationnelle a connu une hausse remarquable, passant de 15 % à 19 %, tandis que le résultat brut bondissait de 918 M€ à 1,478 Md€, soit +60 % sur un an.

Les dividendes ont suivi la même trajectoire, progressant de 5,10 € à 8,70 € par action, entraînant mécaniquement une flambée du cours de l’action, passé de 750 € en février 2025 à 1 720 € début juin — une hausse de 129 % en seulement quatre mois. Une performance boursière sans équivalent parmi les grands industriels européens de défense : Leonardo (+67 %), BAE Systems (+64 %), Dassault Aviation (+51 %), Thales (+50 %) ou Airbus (en léger recul de 3 % sur la même période).

Cette progression impressionnante trouve son origine à la fois dans les performances internes du groupe et dans son positionnement stratégique. Elle reflète à la fois la dynamique de commandes en Allemagne (F-35A, munitions, reconstitution capacitaire), les percées commerciales majeures à l’export (notamment en Italie et en Hongrie), et le repositionnement politique de l’Allemagne après la victoire de Friedrich Merz aux législatives de septembre 2024, qui a permis d’ancrer une doctrine de réarmement plus affirmée à Berlin.

Lors de la présentation des résultats 2024, Armin Papperger n’a pas réitéré publiquement l’objectif de 40 Md€ à l’horizon 2030. En revanche, il a souligné que le carnet de commandes atteignait désormais 55 Md€, en hausse de 44 % sur un an, et que le groupe anticipait pour 2025 une croissance du chiffre d’affaires comprise entre 25 % et 30 %, avec un résultat opérationnel stabilisé autour de 15,5 %.

Une stratégie basée sur l’investissement industriel et les partenariats plus que sur la R&D

Les performances exceptionnelles de Rheinmetall ne sont pas uniquement le fruit d’un contexte géopolitique favorable ou d’un effet d’aubaine lié à l’augmentation des budgets de défense en Europe depuis 2022. Elles découlent d’une stratégie industrielle longuement murie, engagée dès 2012 par Armin Papperger, à son arrivée à la tête du groupe, et reposant sur une combinaison audacieuse d’anticipation capacitaire, d’investissement autonome et de diversification commerciale.

Rheinmetall KF41 Lynx
Assemblage de KF41 Lynx

Il reste 75 % de cet article à lire, Abonnez-vous pour y accéder !

Logo Metadefense 93x93 2 Tissu industriel Défense BITD | Allemagne | Analyses Défense

Les abonnements Classiques donnent accès aux
articles dans leur version intégrale, et sans publicité,
à partir de 1,99 €. Les abonnements Premium permettent d’accéder également aux archives (articles de plus de deux ans)

ABONNÉS : Si vous voyez ce panneau, malgré votre abonnement, videz le cache de votre navigateur pour régler le problème.


Auteur : Fabrice Wolf

Aller à la source

Cédric

Depuis 1998, je poursuis une introspection constante qui m’a conduit à analyser les mécanismes de l’information, de la manipulation et du pouvoir symbolique. Mon engagement est clair : défendre la vérité, outiller les citoyens, et sécuriser les espaces numériques. Spécialiste en analyse des médias, en enquêtes sensibles et en cybersécurité, je mets mes compétences au service de projets éducatifs et sociaux, via l’association Artia13. On me décrit comme quelqu’un de méthodique, engagé, intuitif et lucide. Je crois profondément qu’une société informée est une société plus libre.

Cédric has 6577 posts and counting. See all posts by Cédric