La bande dessinée, terrain de choix pour les récits militaires
Après des millénaires de récits épiques – depuis « L’Épopée de Gilgamesh » dans la Mésopotamie du XVIIIe siècle avant notre ère – et de peintures de guerre – comme la célèbre « Bataille de San Romano » de Paolo Uccello au XVe siècle –, écrits et images militaires se sont mariés assez tardivement. « On peut faire remonter cette catégorie de BD à la fin du XIXe siècle », indique le contrôleur général des armées Arnauld Chéreil de la Rivière, secrétaire général du Conseil supérieur de la fonction militaire et grand connaisseur de ce genre de bande dessinée. Il précise cependant qu’il n’y a « à l’origine, pas de BD militaire au sens strict : ce sont soit des BD d’aventures, soit des BD historiques ».
Parmi les grands précurseurs, l’officier mentionne « Les Facéties du sapeur Camember » dans les années 1890, « une caricature du milieu populaire très informative sur la vie en caserne au moment où le service militaire se généralisait ». À cette époque, le genre comprenait des albums hagiographiques, d’autres parodiques, d’autres encore antimilitaristes.
Le passionné cite aussi, à la même époque, la « Lettre de Napoléon à Murat » (1898) de Caran d’Ache, « presque un dessin animé » : en 40 petits dessins sans un mot, le célèbre dessinateur retrace la périlleuse épopée d’un messager chargé de délivrer la missive.
« BUCK DANNY » NE BRILLAIT PAS PAR SON RÉALISME
Ensuite, selon Arnauld Chéreil de la Rivière, l’explosion du genre de la BD militaire en Europe arrive après la Seconde Guerre mondiale avec la diffusion des comics américains. Le vieux continent suit, avec d’abord « Les Aventures de Buck Danny », une série belge lancée en 1947 dans l’hebdomadaire Spirou, qui retrace les péripéties d’un trio de pilotes de l’armée de l’air américaine.
Toujours en cours avec 60 albums à ce jour, cette série, comme les autres initiées après-guerre dont « Tanguy et Laverdure » (deux pilotes de l’armée de l’Air française), ne brille pas par son réalisme : « Avec le nombre d’avions qu’il a perdus, Buck Danny aurait été chassé de l’armée depuis longtemps ! », s’amuse le contrôleur général.
Arnauld Chéreil de la Rivière, qui possède une collection de 2750 albums, dont un gros tiers de type militaire, constate que « les attentes du public ont évolué : les grosses ficelles de Buck Danny ou Tanguy et Laverdure ne passent plus ». La bande dessinée militaire contemporaine se veut donc plus diverse. L’amateur éclairé en voit plusieurs catégories :
« Nombre de séries continuent de s’inscrire dans une veine traditionnelle, faisant l’éloge des valeurs traditionnelles comme le courage, l’endurcissement. Certaines sont hagiographiques et visent un lectorat adolescent, comme le récent album consacré au général de Monsabert aux éditions du Triomphe. Ce même éditeur publie aussi des BD retraçant des vies d’unités de l’armée.
Certaines séries comme « Champ d’Honneur » (Delcourt) sont consacrées à des batailles historiques plus ou moins célèbres ; apparaissent des séries très réalistes, factuelles, mettant en valeur la réalité des engagements militaires contemporains (« Médecins de guerre », par exemple, chez Dargaud). D’autres enfin se contentent de dérouler leurs intrigues dans un cadre « militaire » sans chercher à faire des armées leur sujet principal (« La Bataille » aux éditions Dupuis, « Notre Mère, la Guerre » chez Futuropolis ». »
LES « GALONS DE LA BD », UN PRIX POUR RÉCOMPENSER CE GENRE
Le ministère des Armées a bien pris la mesure de cette idylle entre bande dessinée et fait militaire, en lançant en 2021 « les Galons de la BD », qui récompensent chaque année trois ouvrages avec un grand prix, un prix histoire et un prix jeunesse. Les deux premiers sont décernés par un jury de professionnels, et le troisième par des élèves de 18 classes défenses.
Attribué à Stéphane Marchetti et Rafael Ortiz pour « Sur le front de Corée » (éditions Dupuis), le grand prix 2025 fait un pas de côté par rapport à l’armée, en mettant en scène l’expérience du journaliste Henri de Turenne en reportage dans ce conflit en Extrême-Orient (1950-1953).
Le prix Histoire est allé à Dominique Bertail, Jean-David Morvan et Madeleine Rigaud, auteurs de « Madeleine résistante tome 3 – Les nouilles à la tomate » (éditions Dupuis), troisième opus d’une série sur la résistante Madeleine Riffaud, morte centenaire en 2024.
Le prix jeunesse été décerné à Laurent Bidot, Arnaud Delalande et Agathe Hébras pour « Le dernier témoin d’Oradour-sur-Glane » (éditions Harper Collins), racontant l’histoire du grand-père de la troisième, Robert Hébras, l’un des six survivants du massacre perpétré dans ce village limousin par des soldats de la division SS « Das Reich » le 10 juin 1944.
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Auteur : tanguy.morel@ihedn.fr
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