Journée nationale de la résistance, « Nous rentrerons ensemble », un web doc pour se souvenir
Elles s’appelaient Suzanne, Simone. Chacune à sa manière, pendant la Seconde Guerre mondiale, elles avaient choisi de résister à l’occupant nazi. Les deux jeunes femmes se sont rencontrées dans le camp de Ravensbrück. Une amitié pour se sauver de la barbarie. La journaliste Stéphanie Trouillard consacre un web doc à leur histoire pour leur rendre hommage.
Une partie de l’histoire est née d’une banale cassette audio, comme on en avait encore dans les années 90. Un objet que les moins de 30 ans ne peuvent pas connaître…
La cassette avait été enregistrée dans une école de Malestroit en 1991, le jour où Suzanne Bouvard était venue raconter son histoire aux élèves.
« Cette cassette, elle demandait juste à ce qu’on l’écoute, sourit Stéphanie Trouillard. Journaliste et historienne, elle s’intéresse depuis de nombreuses années aux petites histoires de la Grande Histoire et se passionne pour les hommes et les femmes, dont le destin a basculé pendant la Seconde Guerre mondiale.
Elle avait déjà entendu parler de la Famille Bouvard. Elle s’y est entièrement plongée et raconte dans son podcast, « Nous rentrerons ensemble, Suzanne et Simone, une amitié à Ravensbrück » le destin de ces deux femmes.
Suzanne Bouvard est née en 1918 à Saint-Marcel dans le Morbihan. En 1944, la jeune femme, fille d’un colonel de l’armée française, est fiancée et prête à se marier. « Sa robe de mariage et les faire-part étaient prêts », raconte Stéphanie Trouillard.
Suzanne Bouvard devait se marier quand la guerre a bouleversé tous ses projets.
•
© Famille Latapie
Mais, en ce début du mois de juin, sur les ondes de Radio Londres, les résistants bretons entendent « Les dés sont sur le tapis« . Cette phrase est le signal qu’ils attendaient pour rallier le maquis de Saint-Marcel dans le Morbihan.
Un terrain a été repéré depuis des mois. Des hommes et des armes y seront parachutés dans la nuit du 5 au 6 juin 1944. Ils vont permettre aux réseaux de s’équiper pour empêcher les Allemands présents en Bretagne d’aller renforcer les troupes, qui font face aux Alliés qui vont débarquer sur les plages de Normandie.
Des centaines de combattants se retrouvent à Saint-Marcel et commencent les opérations de sabotage.
Dès le 7 juin, Suzanne Bouvard a installé une infirmerie dans une aile du manoir familial. Elle apporte les premiers soins aux blessés.
Suzanne Bouvard avait installé une infirmerie dans une aile du manoir pour soigner résistants et parachutistes.
•
© Famille Latapie
Au matin du 18 juin, une patrouille allemande pénètre dans le maquis. Les premiers coups de feu claquent. « Les Allemands se sont imaginés, que notre maison était le PC. On a été bombardés de partout. Un mitraillage pas possible. Les balles entraient par les fenêtres « , se souvenait Suzanne dans la cassette audio. Les combats sont violents, Suzanne s’enfuit vers Malestroit.
Elle est arrêtée le lendemain en rentrant chez elle avec sa cousine. Les Allemands étaient au détour d’un chemin, quand ils perquisitionnent le manoir, ils découvrent un parachute et des pansements anglais.
Le manoir Sainte-Genviève à Saint-Marcel dans lequel Suzanne Bouvard a vécu.
•
© Famille Latapie
Suzanne et sa cousine Annic sont conduites à la Gestapo à Vannes. « On a été rossées comme je ne le souhaite à personne », puis déportées vers le camp de Ravensbrück. Le plus vaste camp de concentration pour femmes de l’Allemagne nazie. 120 000 femmes, résistantes, juives ou tziganes, y ont été déportées.
« Ce n’est pas de veine parce qu’au mois d’août, la France a été libérée et nous, on était rendues en Allemagne. Cela s’est joué à quinze jours près. Nous avons été l’avant-dernier convoi« , constatait Suzanne.
À leur arrivée dans le camp, Suzanne et sa cousine découvrent les silhouettes faméliques des détenues, le crâne rasé, « maigres, épouvantables« . « Je ne pouvais pas croire que cela pouvait exister de traiter les hommes comme des bêtes. Ces gens-là n’avaient plus figure humaine. »
Suzanne et Annic sont tatouées, matricule 47 329 pour l’une, 47 372 pour l’autre, reçoivent la tenue rayée, « notre tenue mortuaire au regard des nazis, puisqu’aucun de nous ne devait sortir vivant de leurs camps« . Elles doivent subir les longs appels, les coups de cravache. « Nous n’étions plus des humains. Nous avancions dans la nuit, tels des automates, conscientes que le droit de mourir en paix nous serait refusé, n’ayant plus que celui de crever d’épuisement et de souffrances.«
Mais au milieu de cette horreur, Suzanne rencontre Simone Séailles, une jeune femme de 27 ans, agente de liaison d’un réseau chargé de sabotages dans le nord de la France.
« Je crois que ce qui nous a sauvé de la barbarie, c’est l’amitié, confiait Suzanne. On a toujours essayé de s’entraider entre nous. C’était pour prouver aux Allemands qu’on était encore des femmes et des hommes. Il fallait garder la conscience qu’on était quand même toujours des êtres humains capables d’amitié et de dévouement. »
Simone Séailles est morte à 27 ans à Ravensbrûck.
•
© Famille Séailles
C’est ce qui a touché Stéphanie Trouillard, « cette solidarité féminine qui s’est exercée jusque dans le camp. Elles avaient gardé une part d’humain. En s’aidant, elles luttaient. Elles gardaient une part d’humanité en s’offrant un morceau de pain, un brin d’herbe. » Et Stéphanie Trouillard cite Germaine Tillion. Elle parlait d’une « coalition de l’amitié ». Les détenues étaient plus que des sœurs.
En 1945, l’hiver ajoute encore aux souffrances des détenues. Elles doivent pourtant creuser des tranchées antichars. « Cela nous a achevées », disait Suzanne.
Lorsqu’il faut évacuer le camp, elle ne peut plus marcher. Son amie refuse de partir et de l’abandonner et prend soin d’elle. À force de l’aider, c’est elle qui s’épuise et trouve la mort le 26 mai 1945. Elle avait 27 ans.
Quand Suzanne rentre en France, seule, elle ne pèse plus que 32 kilos. Le manoir familial de Saint-Marcel a été brûlé.
Sur ses terres, elle décide de planter des pommiers et de créer un verger. Suzanne Bouvard se marie et devient Latapie. Elle s’est éteinte en 1992.
Au fil des pages de son web doc, Stéphanie Trouillard nous emmène dans ses pas. Des photos, des dessins, le son de sa voix.
« Le web doc est une façon de transmettre l’histoire aux jeunes, insiste la journaliste. Aujourd’hui, les témoins de cette époque ont presque tous disparu, il est important de ne pas oublier ce que ces femmes ont fait. Elles ont lutté contre la haine. »
« Et c’est encore plus important quand la haine refait surface que l’extrême droite monte ».
Le web doc sur Suzanne et Simone ne raconte pas seulement une histoire. Il délivre un message de solidarité et du respect de l’autre !
Auteur : Séverine Breton
Aller à la source