Guerre contre l’Ukraine : et s’il n’y avait pas de cessez-le-feu ?
Lorsque Trump a lancé ses déclarations enthousiastes (« fantastiques ») sur sa capacité à stopper la guerre en Ukraine, nous avons pensé qu’une telle affirmation s’appuyait sur un deal qu’il avait déjà passé avec Vladimir Poutine, au cours de ses discussions personnelles avec le dictateur russe. En particulier, le 12 février 2025, Trump annonçait des négociations immédiates avec la Russie et affichait toute sa confiance pour trouver très rapidement une trêve – à défaut d’une paix durable – dans un conflit particulièrement meurtrier qui durait déjà depuis trois années.
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Mais après sept semaines de négociations aussi tordues qu’infructueuses, force est de constater qu’aucun cessez-le-feu n’est en vue, que les combats et les bombardements contre l’Ukraine se poursuivent avec autant d’intensité et que Donald Trump se fait nettement moins entendre sur le sujet… comme s’il comprenait que faire affaire avec Vladimir Poutine était autrement plus difficile que de virer le président Zelensky du bureau ovale.

La « pièce de théâtre co-écrite par Trump et Poutine » ne se joue pas de la manière attendue
Contrairement à ce que j’avais écrit précédemment, cette « pièce de théâtre co-écrite par Trump et Poutine » ne se joue pas de la manière attendue, probablement pour la raison que ses deux auteurs ne parlaient pas de la même chose, voire le même langage. D’un côté, Donald Trump espérait un deal entre deux grands patrons aux pouvoirs fascinants, et que la parole donnée suffisait pour reconstituer un « concert » des super-puissances qu’aucune loi ne pourrait contraindre. Le président russe devait se réjouir d’être l’interlocuteur direct du président le plus puissant de l’histoire des Etats-Unis (au moins dans son esprit) et que l’Histoire n’allait pas s’arrêter à quelques crimes contre l’humanité et déportation d’enfants.
Mais manifestement le maître du Kremlin ne l’entend pas de cette manière, et deux hypothèses sont envisageables pour expliquer son refus d’accepter jusqu’ici un cessez-le-feu tellement attendu : soit Poutine, en héritier de l’URSS et du KGB dont il est issu, estime qu’il n’a pas encore rencontré d’obstacle dur et qu’il peut continuer à négocier, d’autant plus que Trump n’a jusqu’alors jamais encore fait preuve de la seule loi qu’il respecte, celle du plus fort. En effet, président russe n’a fait jusqu’ici, malgré les rodomontades de Trump, aucune concession dans cette négociation et il aurait tort de ne pas « pousser le bouchon » plus loin en l’absence de coup d’arrêt par la force du président américain.
Trump commence à s’agacer de cette situation
Pourtant, du fait de son impatience et de son imprévisibilité, Trump commence à s’agacer de cette situation. Il a ordonné à l’armée américaine – sans l’afficher publiquement – de livrer à nouveau des livraisons d’armes et de munitions à la résistance ukrainienne. Il a même autorisé des frappes avec des munitions américaines contre des cibles de haute-valeur sur le territoire russe, états-majors importants, dépôts de munitions et pétroliers.
Plus encore, après avoir trahi les Ukrainiens en leur coupant l’accès au renseignement américain ce qui les a obligés de fait à abandonner Koursk avec probablement des pertes importantes, Trump a cependant autorisé le soutien américain des Ukrainiens pour qu’ils rentrent de nouveau sur le territoire russe, dans la région de Belgorod voisine de celle de Koursk. Les militaires américains en sont d’autant plus satisfaits qu’ils ont très mal vécu de trahir les alliés qu’ils soutiennent depuis trois ans avec l’affaire de Koursk, ils en parleront un jour et ce ne sera pas au bénéfice de Trump…
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La reprise du soutien américain ressemble à un retournement de situation, non affiché mais difficile à ignorer pour la Russie de Poutine qui continue à enfoncer « sa baïonnette dans un ventre mou » et qui ne s’arrêtera seulement lorsqu’il rencontrera une opposition par la force et pas par les mots.

Est-ce que Trump peut aller plus loin et mettre enfin « la pression » sur la Russie pour l’obliger à négocier réellement ?
Les Américains n’ont pas autorisé jusqu’ici les Ukrainiens à abattre (les aviateurs disent intercepter pour faire plus joli) les bombardiers russes qui viennent quotidiennement pilonner la ligne de front avec des « bombes planantes » dont la portée est de l’ordre de 80 km. Les F16 et les Mirage 2000 français ont cette capacité, mais cela implique clairement d’abattre des avions russes qui peuvent être au-dessus du sol russe. Ce serait un signal fort, de même que le renforcement de la flotte de F16 dont les Américains disposent de réserves en centaines, un signal auquel Poutine serait bien plus sensible qu’aux promesses de l’inviter à rejoindre le cercle « fantastique » des amis de Donald Trump.
Mais l’autre hypothèse beaucoup plus inquiétante est que Poutine continue à avancer dans cette guerre, estimant finalement qu’il a plus à gagner à rester en guerre que de s’arrêter (comme Netanyahou au Proche-Orient), et qu’il repousse en permanence un accord de cessez-le-feu en même temps que la ligne de front dont il est convaincu désormais qu’elle constituera sa frontière dans les faits.

Dans ce scénario sans cessez-le-feu, les Européens seraient face à une double difficulté : la première est qu’il leur serait impossible de s’accorder sur une force de « réassurance » d’un accord, comme c’est le cas aujourd’hui où la plupart des pays de la « coalition des volontaires » se refusent à engager leurs armées en Ukraine, s’ils n’ont pas eux-mêmes l’assurance d’un accord de trêve avec la Russie, pour ne pas se voir engagés dans un conflit direct avec celle-ci.
Comment continuer à soutenir l’Ukraine dans cette guerre d’usure qui est aussi une impasse militaire ?
La seconde difficulté de cette situation est de continuer à soutenir l’Ukraine dans cette guerre d’usure qui est aussi une impasse militaire. D’autant plus que, paradoxalement, le risque est que Trump, dépité de ne pas avoir trouvé d’accord avec Poutine, pourrait préférer oublier le sujet en se dégageant de ce conflit. Le président américain pourrait ainsi se concentrer sur d’autres sujets, comme il sait remarquablement affoler les esprits avec ses déclarations tout azimut, des droits de douane au Groenland. Les Européens, aidés certes de quelques alliés comme le Canada, l’Australie ou la Nouvelle-Zélande, se retrouveraient seuls pour soutenir l’effort de guerre, financier et militaire, en Ukraine.
Sans les Américains, et notamment leur très puissant système de renseignements qui n’a pas d’équivalent dans le monde, la résistance ukrainienne serait très affaiblie et c’est peut-être cette carte que joue Poutine, faute d’une démonstration de force qu’il n’a pas encore vue de la part de Donald Trump, un président affaibli aussi par ses déclarations sans lien avec la réalité.
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Tandis que Trump essaye de revenir sur l’exploitation économique de l’Ukraine avec un nouveau projet de contrat encore plus délirant que le précédent (cf l’article de Marie Jego ci-dessous), qui mettrait sous tutelle américaine les infrastructures et l’exploitation des richesses du sous-sol ukrainien, se permettant ainsi de racketter un pays en guerre, la situation actuelle ressemble à une impasse dont seule une solution négociée permettrait de sortir, mais négociée par qui ?

Pour approfondir,
Guerre en Ukraine : avec la nouvelle version du projet d’accord sur les minerais par les Etats-Unis, Volodymyr Zelensky au pied du mur, par Marie Jego (Le Monde)
Après le sommet de l’Elysée, l’envoi de troupes européennes sur le terrain reste dans les limbes, par Philippe Ricard et Élise Vincent (Le Monde)
Comment défendre la paix sans avoir peur de se battre (Autrement)
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Auteur : Ne Pas Subir – Blog de Guillaume ANCEL
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