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Funérailles du Pape et enterrement de la guerre en Ukraine 

Tandis que l’attention internationale est focalisée, le temps d’un instant, sur les funérailles du pape François au Vatican, le glas semble sonner aussi pour la guerre en Ukraine, déclenchée par la Russie depuis trois longues années.

L’empressement de Donald Trump à stopper cette guerre relève d’un engagement personnel, moins par humanité que pour démontrer sa puissance tellement vantée. Depuis son élection en novembre 2024 et son accession au pouvoir en janvier 2025, le président américain n’a cessé de poursuivre cet objectif – stopper ce conflit dévastateur -, à un prix qu’il estime devoir fixer lui-même, comme il entend le faire dans son art très personnel du « deal ».

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Les négociations sont manifestement très difficiles, mais reconnaissons à Donald Trump sa détermination : même lorsqu’il menace de se retirer des discussions, il continue en réalité à poursuivre le même objectif, la fin de cette guerre en Ukraine.

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Le plan que Trump propose n’est pas réellement une surprise. C’est dans les grandes lignes celui que son équipe avait transmis à l’OTAN début décembre 2024, pour que ses pays membres se préparent aux conséquences.

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Agence Reuters, 25 avril 2025

Accepter un état de fait qui consacrerait le retour des Empires

Ce plan pour mettre fin à la guerre repose sur le gel du front, le figeage de la situation des combats et l’acceptation des conquêtes militaires, comme un état de fait qui consacrerait le retour des Empires. Ce plan reconnaît à la Russie les près de 20% (18,5% pour être précis) du territoire ukrainien qu’elle a conquis par la force. Cela est très choquant pour les Ukrainiens et les Européens. Cette conquête par les armées de Poutine représente 8 fois la superficie de l’Alsace-Lorraine, rappelant légion de souvenirs douloureux dans l’histoire des conflits armés.

Le gain territorial pour la Russie comprendrait la Crimée – annexée par la force en 2014 – et quasiment les quatre régions (oblast) désormais de l’autre côté de la ligne de front, au prix de destructions et de pertes humaines massives. Par une rare concession à laquelle serait prêt Poutine, la Russie reculerait uniquement dans la région de Kharkiv et devant la centrale nucléaire de Zaporijia, qu’elle confierait aux Etats-Unis aux fins de son exploitation…

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Mais la vraie contrepartie dans cet accord serait que la Russie stoppe son rouleau compresseur, qui broie chaque jour plus de vies. Certes, comme nous l’avons rappelé à de nombreuses reprises, à cette vitesse, il faudrait un siècle à l’armée russe pour espérer soumettre militairement l’Ukraine. Pour autant, force est de constater qu’aujourd’hui, personne ne sait bloquer l’avancée des armées de Poutine, faute de détermination, de moyens et surtout de volonté.

En effet, l’armée ukrainienne ne manque ni d’armes, ni de munitions, mais de bras face à un empire quatre fois plus nombreux qu’elle. Est-ce que la Grande-Bretagne aurait pu vaincre l’empire nazi en Europe, si, pendant la Seconde Guerre mondiale, elle n’avait reçu des États-Unis que des armes et des munitions ?

De fait, pour « gagner » cette guerre – ou pour l’éviter quand il en était encore temps – il aurait fallu que des armées s’engagent auprès de l’Ukraine, comme les alliés s’étaient engagés contre Hitler. A ce stade, il est trop tard pour le faire, en particulier maintenant que le repli des Etats-Unis est consommé, car nous Européens sommes en réalité incroyablement dépendants des Américains pour notre propre sécurité, notamment concernant leur système de renseignement dont nous n’avons pas l’équivalent.

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Autrement dit, à cet instant, nous n’avons pas d’autre choix que de céder partiellement et de se préparer à éviter un autre conflit avec l’Empire menaçant qu’est devenue la Russie de Poutine. Pour stopper cette guerre sans issue, nous devons concéder aujourd’hui la Crimée et le Donbass. D’une part, l’Ukraine n’a pas les moyens de les reconquérir par les armes et d’autre part, les alliés qui lui restent n’ont pas plus les moyens de compenser le repli des Etats-Unis, dont le soutien était déjà insuffisant.

Pour qui sonne le glas ?

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky peut affirmer qu’il ne cédera rien, que la Crimée fait partie intégrante de la Constitution de l’Ukraine. Mais la réalité est qu’il n’a pas le choix, comme le lui a rappelé Donald Trump en l’obligeant à se retirer de la région russe de Koursk, tout simplement en lui coupant l’accès (ainsi qu’à ses alliés) au renseignement américain.

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Malheureusement, comme aime le rappeler Trump, le président Zelensky « n’a pas les cartes en main » dans cette négociation, et l’arrivée tardive des Européens dans la discussion porte essentiellement sur les conséquences d’un accord, bien plus que sur ses principes. Comme l’a reconnu courageusement le journaliste Cyrille Amoursky, les Ukrainiens n’ont pas les moyens de gagner cette guerre et il faut trouver un moyen d’en sortir.

En conséquence de cet accord que Trump veut imposer, les Européens auront à consacrer un effort militaire important – pour une durée indéterminée – s’ils veulent dissuader toute reprise de la guerre en Ukraine par Poutine. Le plan actuel de garantie porte sur 50 000 soldats stationnés en permanence, soit 100 000 par an (les rotations en mission extérieure se faisant tous les 6 mois) jusqu’à ce que ces forces établissent des bases permanentes, avec des unités dédiées, comme ce fut le cas en Allemagne de l’Ouest pendant la guerre froide, pendant presque un demi-siècle.

Le retour de la guerre froide

En parallèle de la sécurisation de cet accord de cessez-le-feu, les pays européens (dont les Ukrainiens) devront consacrer un investissement important à leur défense globale, afin de dissuader Poutine d’attaquer à nouveau. Et pas seulement en Ukraine, mais de la Finlande à la Pologne en passant par les pays baltes, dès que la Russie aura rééquipé son armée.

C’est donc à une nouvelle guerre froide qu’il faut se préparer en considérant désormais que le soutien des Etats-Unis n’est plus acquis. Une lueur d’espoir réside néanmoins dans le fait que Poutine n’est pas éternel (il a 73 ans) et que le bilan de cette guerre – si elle s’arrêtait enfin – vis-à-vis de sa propre société ne sera guère à son avantage.

Compte tenu de la détermination de Donald Trump et du pouvoir de pression dont celui-ci dispose sur l’Ukraine, seul Poutine peut désormais empêcher qu’un accord soit trouvé, pour mettre fin à cette guerre qu’il a lui-même déclenchée. Est-ce son intérêt de bloquer la négociation ? Jusqu’à présent, le maître du Kremlin a poussé les limites de la patience du président américain et, en l’absence de réaction dure de ce dernier, il n’a aucune raison de ne pas continuer à faire monter les enchères.

Mais les Européens et notamment le président Macron, ont habilement montré à Donald Trump – sans le braquer – que Poutine mentait. Quand d’un côté il affirmait vouloir la paix, de l’autre il continuait à bombarder l’Ukraine, principalement des cibles civiles en pleine ville. Curieuse conception de la paix, s’il en est !

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Le Monde

Poutine a probablement atteint les limites de ce que sa duplicité pouvait lui rapporter. Trump commence à douter publiquement de la réelle volonté du maître du Kremlin, d’autant qu’il faut se souvenir qu’une échéance importante pour lui arrive déjà, celle du 9 mai, fête de la Grande Victoire contre le nazisme. Poutine voudra-t-il engranger lui aussi une victoire même partielle et sa reconnaissance par la communauté internationale, dont il était devenu un paria ?

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Il n’existe pas d’alternative au « plan de paix » de Donald Trump

En l’état, quoi qu’on en pense et quelles qu’en soient les conséquences, en réalité, nous n’avons pas d’alternative au « plan de paix » de Donald Trump. Les pays européens qui l’ont compris ne disposent que de quelques années pour construire un système de défense dissuasif afin de les protéger des menaces que fait peser contre eux Vladimir Poutine.

Un système de défense crédible pour l’Europe comprend un dispositif de dissuasion nucléaire, une force d’action rapide (qui existe déjà, mais qui souffre d’être éparpillée entre autant de « souverainetés nationales ») et enfin une armée de mobilisation massive dont une Garde européenne pourrait constituer un élément clef.

Cette Garde européenne serait rapide à structurer sur la base de volontaires régulièrement entraînés et de commandes d’équipements simples et massifs, industrialisés pour l’ensemble sur le territoire européen qu’elle couvrirait. Cette Garde européenne est expliquée dans mon dernier ouvrage, « Petites leçons sur la guerre » (Autrement) et fera l’objet d’un prochain article.

Lire aussi : « Petites leçons sur la guerre » 

Cette construction rapide d’une défense de l’Europe relève d’un second temps, puisque dans l’immédiat, il s’agit toujours de stopper cette guerre en Ukraine, déclenchée par la Russie et qu’elle seule peut arrêter.

Le deal porté par Donald Trump se fera essentiellement au détriment de l’Ukraine et de l’Europe (tout du moins celle qui veut se défendre !). Cependant, il n’existe pas d’alternative crédible à cette solution déséquilibrée mais tristement adaptée à l’impasse politique et militaire dans laquelle nous sommes enfermés, dans cette guerre contre l’Ukraine. Cette guerre de Poutine pourrait ainsi se terminer rapidement, sans qu’une paix durable soit pour autant établie.

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Auteur : Ne Pas Subir – Blog de Guillaume ANCEL

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Cédric

Depuis 1998, je poursuis une introspection constante qui m’a conduit à analyser les mécanismes de l’information, de la manipulation et du pouvoir symbolique. Mon engagement est clair : défendre la vérité, outiller les citoyens, et sécuriser les espaces numériques. Spécialiste en analyse des médias, en enquêtes sensibles et en cybersécurité, je mets mes compétences au service de projets éducatifs et sociaux, via l’association Artia13. On me décrit comme quelqu’un de méthodique, engagé, intuitif et lucide. Je crois profondément qu’une société informée est une société plus libre.

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