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« Flotte fantôme » : La Russie arraisonne un navire parti d’Estonie avec une cargaison de pétrole de schiste – Zone Militaire

La semaine passée, l’Union européenne [UE] a approuvé un dix-septième « paquet » de sanctions contre la Russie, en mettant l’accent sur la « flotte fantôme » de pétroliers auxquels celle-ci a recours pour contourner les restrictions déjà imposées à ses exportations d’hydrocarbures.

Cette « flotte fantôme » se compose de plusieurs centaines de navires [345 selon l’UE, ndlr], qui, pour compliquer leur identification, changent régulièrement de pavillon, de nom et de propriétaires. Généralement non couverts par des assurances alors que leur état laisse souvent à désirer, ils naviguent parfois sans activer leur système AIS [Automatic Identification System], ce qui accroît le risque de collision… et celui d’une marée noire.

Dans une note publiée en 2024, le Centre d’études stratégiques de la Marine [CESM] a souligné les difficultés que posaient ces « flottes fantômes » [la Russie n’est pas la seule à y recourir…], contre lesquelles il n’existe pas, à ce jour, de parade efficace, faute d’un cadre juridique adéquat, celui-ci étant « défavorable lorsque les transactions concernent des pays non occidentaux qui ne participent pas aux sanctions contre » Moscou, a-t-il expliqué.

« Ainsi en 2023 près d’un quart des importations chinoises de pétrole provenaient de Russie, du Venezuela et d’Iran. Ces importations étaient le fait de raffineries de petites tailles, surnommés teapots, qui n’ont que très peu de liens avec le système financier international et sont donc peu vulnérables aux sanctions américaines et européennes », a-t-il poursuivi.

Quoi qu’il en soit, le 11 avril dernier, estimant avoir le droit d’inspecter les navires transitant par sa zone économique exclusive [ZEE] pour des raisons de sécurité, l’Estonie a arraisonné le Kiwala, un pétrolier battant le pavillon de Djibouti [ce que les autorités djiboutiennes ont réfuté], alors qu’il se dirigeait vers le port russe d’Ust-Luga. Les contrôles menés à son bord ont permis de constater pas moins de quarante « déficiences ».

« L’immobilisation du navire a pour but de vérifier ses papiers et son statut juridique », avait alors expliqué la marine estonienne. « Les enquêtes menées ne sont en aucun cas liées à des dommages causés à des infrastructures sensibles », a-t-elle précisé. Finalement, même s’il figurait sur les listes des sanctions de l’UE, du Royaume-Uni et du Canada, le Kiwala a été autorisé à reprendre sa route deux semaines plus tard.

Le 13 mai, un autre pétrolier suspect, le M/T Jaguar, battant pavillon gabonais et lié à la société indienne Gatik Ship Management, a refusé de se plier aux injonctions de la marine estonienne. Mieux, a priori, il a même été protégé par un Su-35 Flanker russe alors que le patrouilleur Raju souhaitait le contrôler.

Plus tard, Tallinn a accusé l’avion de combat russe d’avoir violé son espace aérien, au niveau de la péninsule de Juminda. Le Su-35 « n’avait pas de plan de vol et son transpondeur était éteint. Au moment de l’infraction, il n’était pas non plus en communication avec le contrôle aérien », a ensuite précisé le ministère estonien de la Défense, avant d’évoquer l’intervention de F-16 portugais, basés à Ämari, dans le cadre de la mission Baltic Air Policing de l’Otan.

Cela étant, cet incident est encore loin d’être clos. Le 17 mai, la marine russe a en effet arraisonné le pétrolier Green Admire, qui, battant pavillon du Libéria et appartenant à un armateur grec, transportait du pétrole de schiste estonien en direction de Rotterdam [Pays-Bas].

Après avoir appareillé du port de Sillamae, le Green Admire a emprunté un chenal de navigation traversant les eaux territoriales russes. Chenal qui avait été mis en place grâce à un accord entre l’Estonie, la Finlande et la Russie afin d’éviter les hauts-fonds dans les eaux estoniennes. Selon le site Marine Traffic, le pétrolier se trouvait près de l’île russe de Hogland, le 18 mai.

« C’est la première fois qu’un tel incident se produit. La route empruntée par le Green Admire est un corridor pour la navigation à fort tirant d’eau, qui a été approuvé par la Russie, l’Estonie et la Finlande. À l’avenir, il sera conseillé aux navires marchands estoniens d’emprunter une route différente et un peu plus difficile pour éviter les eaux russes », ont expliqué les autorités estoniennes auprès du radiodiffuseur public ERR.

Cet incident « montre que la Russie continue d’agir de manière imprévisible. C’est pourquoi les navires seront dirigés vers une route alternative à l’avenir », a, de son côté, déclaré Margus Tsahkna, le ministre estonien des Affaires étrangères, via un communiqué.

Cela étant, il n’est pas question pour l’Estonie de renoncer à contrôler les pétroliers suspects. C’est en effet ce qu’a affirmé son Premier ministre, Kristen Michal, dans un entretien accordé à l’agence Reuters. « La question pour nous – pas seulement pour l’Estonie, mais aussi pour l’Europe et les États-Unis – est de savoir comment il se fait que la Russie mène une guerre pour la quatrième année et continue à vendre ses produits sur le marché mondial ? », a-t-il demandé.



Auteur : Laurent Lagneau

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Cédric

Depuis 1998, je poursuis une introspection constante qui m’a conduit à analyser les mécanismes de l’information, de la manipulation et du pouvoir symbolique. Mon engagement est clair : défendre la vérité, outiller les citoyens, et sécuriser les espaces numériques. Spécialiste en analyse des médias, en enquêtes sensibles et en cybersécurité, je mets mes compétences au service de projets éducatifs et sociaux, via l’association Artia13. On me décrit comme quelqu’un de méthodique, engagé, intuitif et lucide. Je crois profondément qu’une société informée est une société plus libre.

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