Deuxième Guerre Mondiale : l’histoire oubliée de ce soldat tchécoslovaque tué par la Das Reich sur le pont de Beaulieu-sur-Dordogne
Il y a 81 ans, le 9 juin 1944, une section de résistants tchécoslovaques ayant rejoint le maquis corrézien, prend position à Beaulieu-sur-Dordogne pour freiner l’avancée d’une unité de la division SS Das Reich. La bataille fait un mort. Une histoire méconnue que les défenseurs de la mémoire tentent de raviver.
Avec le chassé-croisé de voitures incessant aujourd’hui, difficile d’imaginer que sur ce pont, il y a plus de 80 ans, près de trente soldats tchécoslovaques, enrôlés dans la résistance corrézienne, menaient un combat armé contre une division SS.
Nous sommes le 9 juin 1944 : Erich Justitz s’est positionné en embuscade avec ses camarades et leurs fusils-mitrailleurs. Ils attendent leurs ennemis : des chars allemands en route vers le nord, après le Débarquement survenu quelques jours plus tôt. Leur mission : les empêcher d’avancer ou plutôt les ralentir. Ordres de Londres.
Dans la vallée de la Dordogne, ils sont 130 Tchécoslovaques, plusieurs familles dont une trentaine de soldats, à s’être installés dans la région. Vivant de l’agriculture et de l’élevage, cette communauté apprend le français et s’intègre peu à peu notamment en prenant part aux actions menées par le maquis corrézien.
Dans la vallée de la Dordogne, ils sont 130 Tchécoslovaques, plusieurs familles dont une trentaine de soldats, à s’être installés dans la région.
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© Fonds de l’Association des anciens volontaires Tchécoslovaques en France
« Il y avait des soldats démobilisés, d’anciens des Brigades internationales, qui avaient réussi à s’enfuir des camps d’internement français (…) La Corrèze s’est imposée car assez éloignée de l’administration de Vichy et des Allemands. Dans leurs souvenirs, certains de ces Tchécoslovaques réfugiés disent que la région leur rappelait la Sumava [une région de l’ouest de la Tchécoslovaquie]. Ils ont récupéré sept ou huit fermes abandonnées, commencé à exploiter les alentours. Et au printemps 1944, plusieurs dizaines d’entre eux décident de rejoindre le maquis », explique Adam Hájek, journaliste tchèque ayant travaillé sur la présence de ces familles en Corrèze.
Dans leurs souvenirs, certains de ces Tchécoslovaques réfugiés disent que la région leur rappelait la Sumava [une région de l’ouest de la Tchécoslovaquie].
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© Fonds de l’Association des anciens volontaires Tchécoslovaques en France
Erich Justitz était l’un d’eux. De confession juive, il aurait rejoint l’Armée secrète de Charles de Gaulle courant 1940. Il avait 32 ans ce 9 juin 1944 lorsqu’il tenait entre ses mains un fusil-mitrailleur prêt à tirer sur les blindés allemands, qui remontaient vers le Limousin. Le combat n’a duré que quelques minutes. Un obus transperce son corps. Il meurt sur le coup.
Le 9 juin 1944, sur le pont de Beaulieu-sur-Dordogne, les résistants tchécoslovaques tentent de ralentir les chars des SS.
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© Fonds de l’Association des anciens volontaires Tchécoslovaques en France
Il est enterré à la hâte dans le cimetière de Beaulieu, sur les ordres de son chef, Ludvík Máníček, qui lui deviendra plus tard président de l’Association des anciens volontaires tchécoslovaques en France. La tombe n’est à ce jour plus visible, car en 1958, son corps est exhumé, pour être enterré au cimetière israélite de Cronenbourg en banlieue de Strasbourg. Une demande de sa sœur, seule survivante de la famille après les déportations.
Depuis 2021 et les recherches de Laurent Chassaing, fils de résistant, une cérémonie est organisée en l’honneur de la mémoire d’Erich Justitz au mois de juin. Une plaque apposée à l’entrée du pont indique « La ville de Beaulieu, au camarade tchèque Erich Justitz tombé ici pour la liberté le 9 juin 1944. Mort pour la France. »
Cérémonie en hommage à Erich Justitz à Beaulieu-sur-Dordogne.
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© Charles de Quillac/France Télévisions
« Nous avons remis en état cette plaque qui est d’origine, elle a été posée là juste après la guerre (…). Il faut que le souvenir reste et le fait de remettre en surface et de reparler de ces événements-là, ça permet à la génération suivante d’avoir connaissance de ce qui s’est passé », explique Dominique Cayre, le maire de Beaulieu-sur-Dordogne.
Pour l’occasion, plusieurs associations d’anciens combattants se sont réunies. Une minute de silence est respectée. Pour Pavel Lesak, président de l’association des volontaires tchécoslovaques en France, cette reconnaissance, même plusieurs décennies plus tard est indispensable. « Je suis fier. Je suis là pour la mémoire et pour l’histoire. C’est un devoir. »
Le combat entre la section de maquisards tchécoslovaques et la division SS Das Reich était déséquilibré. Mais la bataille du pont de Beaulieu s’inscrit malgré tout dans l’histoire, comme d’autres épisodes similaires survenus en juin 1944 : « La Das Reich avait déjà vécu toute une succession d’embuscades de la part des Résistants et avait perpétré un certain nombre d’exactions puisqu’on dénombre 130 morts sur le haut Quercy et la basse Corrèze », raconte Laurent Chassaing.
Erich Justitz s’y inscrit également, en ayant combattu ce convoi allemand parti de Montauban pour rejoindre le nord du Limousin, qui sera freiné de nombreuses fois mais jamais véritablement stoppé.
Les massacres de Tulle et Oradour-sur-Glane les 9 et 10 juin 1944 feront plus de 740 morts et plusieurs dizaines de déportés.
Auteur : Camille Becchetti
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