Des fouilles archéologiques mettent au jour des centaines de graffitis et de dessins dans une prison
Des fouilles archéologiques dans un ancien bâtiment en cours de démolition à la prison d’Écrouves (Meurthe-et-Moselle) révèlent des centaines de graffitis et de dessins réalisés dans l’entre-deux guerre. Une somme historique exceptionnelle qui témoigne de l’histoire de l’immigration de travail en France
Le centre de détention d’Écrouves (Meurthe-et-Moselle) a ouvert ses portes à la presse à titre exceptionnel mardi 27 mai 2025, plus précisément, une porte sur l’histoire. Après une série de contrôles, nous nous sommes dirigés vers un ancien casernement militaire, un bâtiment sans âme, en cours de démolition. L’intérieur, par contre, recèle des vestiges historiques voués à la disparition.
L’État a missionné les archéologues de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP) afin de remettre au jour et d’expertiser des centaines de graffitis et dessins gravés à même les murs des vastes pièces abandonnées depuis longtemps à la poussière.
L’intérieur de l’ancien casernement recèle des vestiges historiques voués à la disparition. Ils sont l’objet de toutes les attentions des archéologues de l’INRAP.
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© Eric Molodtzoff/ France Télévisions
Une première pour Frédéric Adam, archéologue spécialisé dans les périodes contemporaines et responsable de l’opération : « faire une fouille préventive dans un centre de détention en fonction, c’est effectivement une première pour nous. Notre mission était orientée sur le fait que, lors de la Seconde Guerre mondiale, des détenus déportés, à savoir des juifs, des Tsiganes et des résistants, étaient passés ici en transit avant de prendre malheureusement leur dernier train. Nous nous attendions à trouver des vestiges de cette période-là, soit des objets oubliés, cachés, des traces de vie en relation avec la Shoah, mais nous avons eu une grosse surprise ».
Frédéric Adam, archéologue spécialisé dans les périodes contemporaines et responsable de l’opération. Les graffitis doivent être protégés avant le prélèvement.
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© Eric Molodtzoff/ France Télévisions
Si le décapage des murs ne révélera rien sur le passage des déportés, il va, par contre, mettre au jour des centaines de graffitis et de dessins, témoins d’une histoire beaucoup plus méconnue : « nous sommes tombés sur des centaines de traces. On a découvert environ six cents noms, prénoms, des noms de villes d’origine et des dates. Ce sont des migrants venus d’Europe de l’Est et pour la très grande majorité, des Polonais ».
Le casernement a servi de centre de regroupement pour des familles venues travailler dans les mines et la sidérurgie. Leur arrivée a fait l’objet d’un accord entre la France et la Pologne afin de répondre à la demande pressante des maîtres de forges qui manquaient de main-d’œuvre dans l’entre-deux-guerres.
La majorité des graffitis ont été réalisés par des Polonais venus travailler en France pendant l’entre-deux guerres.
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© Eric Molodtzoff/ France Télévisions
Entre 1920 et 1930, 600.000 Polonais signeront un contrat de travail. Le casernement était le passage obligé pour remplir les formalités administratives et satisfaire aux contrôles sanitaires. Ils n’étaient pas internés, ils y restaient seulement quelques jours. Et déjà s’exprimait le besoin de laisser une trace dans le pays d’accueil : « En très grande majorité, on trouve des noms d’hommes parce que le casernement était essentiellement occupé par les hommes. Les femmes et les enfants étaient dans d’autres bâtiments voisins. Mais il n’empêche qu’on a quelques noms de femmes et des dessins d’enfants. Les dates sont les dates d’arrivée. Elles sont toutes entre 1924 et 1928« . Les archéologues ont ainsi identifié quatre-vingts noms de villes d’Europe de l’Est.
« Les premiers graffitis sont déjà présents dans les grottes ornées de Lascaux ou Chauvet »
Frédéric Adam, archéologue spécialisé dans les périodes contemporaines
L’archéologie s’intéresse aussi à l’histoire contemporaine et toute trace, aussi minime ou banale soit-elle, témoigne d’une histoire. Au même titre qu’une mosaïque antique ou une fresque murale du Moyen-âge, le graffiti révèle quelque chose de son époque : « Les premiers graffitis sont déjà présents dans les grottes ornées de Lascaux ou Chauvet. Tous ceux qui ont fouillé un jour à Pompéi savent très bien que sur les murs, il y a des graffitis qui sont les équivalents de ceux qu’on trouve aujourd’hui ».
Une partie des graffitis sera prélevée et sauvegardée.
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Les archéologues de l’INRAP mettent en œuvre des techniques de fouilles proches de celles utilisées pour les sols, mais appliquées au bâti. explique Ivan Ferrasso directeur adjoint scientifique et technique à l’INRA pour la Lorraine : « C’est une approche couche par couche. On procède au décrépissage, à l’enlèvement des peintures pour découvrir les enduits anciens sur lesquels on retrouve les gravures. On identifie les décors, on les enregistre suivant une typologie précise. On classe les différentes gravures suivant la façon dont elles sont réalisées : s’il y a un encadré, pas d’encadré, des dessins autour, une inscription seulement avec des dates et cetera avec un relevé photographique. »
Ivan Ferrasso, directeur adjoint scientifique et technique à l’INRA pour la Lorraine « On classe les différentes gravures suivant la façon dont elles sont réalisées : s’il y a un encadré, pas d’encadré, des dessins autour, une inscription seulement avec des dates et cetera avec un relevé photographique. »
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La deuxième étape consiste à prélever certains éléments à titre conservatoire. La gravure est d’abord l’objet d’une préparation protectrice de surface réalisée par une technicienne spécialisée.
Opération de prélèvement d’un graffiti et de son support. Il fera partie des éléments conservés et présentés au public.
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Le support, le mur est ensuite découpé à la scie avec beaucoup de précaution. Le choix de conserver tels éléments et pas d’autres n’a pas été simple, explique Frédéric Adam : « Nous avons d’abord fait un tri dans tout ce qui était le mieux conservé, car si on les prélève, c’est n’est pas uniquement pour les archiver, mais c’est aussi pour les exposer au public. Il faut qu’ils soient compréhensibles donc on a choisi parmi les plus lisibles. Nous avons aussi essayé d’avoir un panel représentatif : des noms, des prénoms, des villes, des dates d’arrivée et des dessins ».
Pour la direction du centre pénitentiaire, il était important d’accorder l’accès du bâtiment aux archéologues, explique Marion Marziano, directrice des services pénitentiaires et chef d’établissement au centre de détention d’Écrouves : « Nous sommes dans un établissement chargé d’histoire. C’est une ancienne caserne militaire qui a accueilli aussi des déportés, des travailleurs, des militaires. Aujourd’hui, le personnel pénitentiaire est très attaché à cette mémoire historique et c’était important de la préserver, ça nous tenait vraiment à cœur ». Le coût de l’opération est pris en charge par l’État.
Auteur : Eric Molodtzoff
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