Après des mois de polémique, la cérémonie en hommage aux époux Philippeau « Juste parmi les Nations » a enfin eu lieu à Vendôme
Jean et Jeanne Philippeau honorés. Ce lundi 16 juin à Vendôme (Loir-et-Cher), le couple a reçu à titre posthume la médaille de « Juste parmi les Nations » pour avoir sauvé des enfants juifs durant la Seconde Guerre mondiale. Une cérémonie marquée par une vive polémique après son report voulu par la mairie.
Le lundi 16 juin, la salle du Minotaure à Vendôme est pleine à craquer. Il est 10 heures quand débute, enfin, la cérémonie d’hommage à Jean et Jeanne Philippeau, reconnus « Justes parmi les Nations » à titre posthume.
Un moment suspendu, empreint d’émotion, de mémoire et d’un profond soulagement : celui d’une reconnaissance attendue depuis plus de quatre-vingts ans. Celui aussi d’un hommage qui a failli de jamais avoir lieu, en tout cas pas cette année.
Cérémonie en hommage aux époux Philippeau, Jean et Jeanne, « Justes parmi les Nations » le 16 juin 2025.
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© Valentine SAMEL / France Télévisions
Car ce moment d’unité est venu après plusieurs mois d’ombres. La cérémonie, initialement prévue pour le 28 mai 2025, avait été reportée par la mairie de Vendôme. Ce qui a déclenché une vague d’indignation. Le 12 mars, le journal Le Point révélait que, bien que l’accord du maire ait été donné le 18 mars, son cabinet avait changé de position cinq jours plus tard, car il jugeait qu’il était préférable d’attendre les élections municipales de mars 2026.
Le tollé est immédiat. Dans une longue publication Facebook, 13 avril, l’ancien maire de Vendôme, Pascal Brindeau, s’est lui aussi indigné de la « pauvreté intellectuelle de l’argumentaire« .
Face à la pression et au malaise croissant, la mairie réagit. Le 16 avril, un communiqué de presse annonce la tenue de la cérémonie à la mi-juin. Il confirme la rencontre entre le maire Laurent Brillard, François Guguenheim (vice-président national du Comité français pour Yad Vashem) et Paul Sebaoun (délégué régional), et évoque « des dysfonctionnements » relevant non pas des services municipaux, mais de la direction du cabinet. Le directeur de cabinet sera congédié. Le maire de Vendôme présente ses excuses « à toutes celles et ceux qui se sont sentis blessés, au premier rang desquels les Justes parmi les Nations« .
Jean et Jeanne Philippeau enfin honorés
La matin du 16 juin, Arlette Testyler-Reimann, 92 ans, est assise au premier rang. Le regard vif, elle observe cette cérémonie, dans cette ville qui fut un refuge, un souffle d’enfance au cœur de la guerre. C’est ici, à Vendôme, que Jean et Jeanne Philippeau l’ont cachée avec sa sœur Madeleine. C’était en 1942. Elles étaient juives. Elles avaient besoin d’un abri, d’un geste d’humanité. Le couple Philippeau a ouvert sa porte, sans poser de questions. Sans attendre de remerciements.
Arlette Testyler-Reimann, accompagnée de la ministre Aurore Bergé, en charge de l’Égalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations et des petits-fils du couple Philippeau.
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© Valentine SAMEL / France Télévisions
« Grâce à eux, j’ai eu une nouvelle naissance. Ils nous ont accueillies sans condition, juifs ou pas, simplement parce que nous étions des enfants qui avaient besoin d’aide« , confie Arlette.
Cette cérémonie, c’est plus que des souvenirs. C’est une reconnaissance. J’ai été très attristée quand elle a été reportée. Aujourd’hui, je suis très contente. Même s’ils ne sont plus là, leurs enfants sont présents. C’était important qu’on les honore.
Arlette Testyler-Reimann, l’enfant juive âgée aujourd’hui de 92 ans que Jean et Jeanne Philippeau ont caché pendant la Seconde Guerre mondiale
Elle ajoute, dans un souffle : « Sur mes papiers, je suis née à Paris. Mais en fait, je suis née à Vendôme.«
Jean et Jeanne Philipeau avec Arlette et Madeleine Testyler-Reimann. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les époux ont cachés des enfants juifs pour les sauvés. Le 16 juin 2025, ils ont été décorés de la médaille de « Justes parmi les Nations », à titre posthume.
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© Valentine SAMEL / France Télévisions
Sur scène, le petit-fils de Jean et Jeanne Philippeau prend la parole. L’émotion l’étrangle un instant. Puis il évoque la simplicité et la sagesse de ses grands-parents. « Jean, c’était la sagesse. Il avait un détachement total des choses matérielles. De leurs six petits-enfants, je suis le seul à avoir eu la chance qu’ils assistent à mon mariage. Ils sont partis trop tôt pour voir leur famille s’agrandir. »
Et il pose la question que tout le monde se pose : pourquoi ce couple, modeste, discret, a-t-il pris un tel risque ? « Je crois pouvoir répondre sans me tromper : parce qu’ils pensaient que c’était ce qu’il fallait faire. Ce qui était juste. »
La cérémonie en hommage à Jean et Jeanne Philippeau, Justes parmi les Nations, aura lieu le 16 juin 2025. Sous l’Occupation, ils avaient caché des enfants juifs et les ont ainsi sauvés de la déportation.
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© Famille Philippeau
Cette humilité revient comme un refrain. Sandrine Samson, autre petite-fille du couple, découvre elle-même des éléments de leur histoire à travers le livre qu’Arlette a écrit : « Ils ne nous ont jamais raconté cette histoire. Ils n’en ont même pas parlé à leurs enfants. Ils étaient discrets, humbles. Pour eux, c’était normal.«
Aujourd’hui enseignante, elle lit chaque année le livre d’Arlette à ses élèves de CM2 « C’est ma façon de perpétuer leur mémoire. De leur rendre hommage.«
À la fin de la cérémonie, le maire Laurent Brillard (UDI) se dirige vers Arlette. Les yeux dans les yeux, il lui dit : « Je vous présente mes excuses. Je porte l’entière responsabilité de ce qu’il s’est passé. » Il fait référence à la polémique suite au souhait de la mairie de Vendôme de reporter la cérémonie, après les éléctions municipales de 2026. Elle lui répond, sans animosité : « Il ne faut pas avoir peur. Il faut combattre l’antisémitisme. J’ai 92 ans, je ne sais pas combien de temps, il me reste… alors c’est bien que cette cérémonie ait lieu maintenant.«
Arlette Testyler-Reimann, accompagnée de la ministre Aurore Bergé, en charge de l’Égalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations. Le maire de Vendôme Laurent Brillard (UDI) est à tout à droite. Photo prise durant la cérémonie en hommage aux époux Philippeau « Justes parmi les Nations » le 16 juin 2025.
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Au micro de France 3, le maire admet : « Cette cérémonie a été extrêmement émouvante. Plus que jamais, dans le contexte international actuel, il est urgent de transmettre des messages de tolérance. »
Présente à la cérémonie, la ministre Aurore Bergé, en charge de l’Égalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations, a prononcé un discours fort. Elle a salué la mémoire de tous les Justes, ces héros anonymes de l’ombre.
« Discrètement, silencieusement, sans uniforme, sans fanfare, sans autre étendard que la conscience, surgissait une indomptable armée des ombres, ceux que l’on nommera plus tard les Justes parmi les Nations, a-t-elle déclaré. Rien ne les prédestinait à devenir des héros. Ils étaient simplement des êtres humains fidèles à l’essentiel ».
Et de conclure : « Dans le secret de leur maison, dans le silence de leurs gestes, ils ont dit non. »
Médaille de « Justes parmi les Nations » remise à Jean et Jeanne Philippeau, à titre posthume, pour avoir caché des enfants juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. C’est la plus haute distinction honorifique délivrée par l’État d’Israël à des civils.
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© Valentine SAMEL / France Télévisions
Ce 16 juin 2025, la lumière a donc enfin jailli sur une page longtemps restée dans l’ombre. Jean et Jeanne Philippeau sont désormais inscrits parmi les Justes. Arlette, qui a survécu grâce à eux, le dit avec une gravité sereine : « Ce n’est pas une fin, c’est une continuité. Ce qu’ils ont fait, il faut le transmettre. Encore et encore.«
Auteur : Valentine Samel
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