Mémoire, Histoire & Culture Militaire

« Algérie, Section Armes Spéciales » sur France Télévisions : quand la France menait une guerre chimique en Algérie – L’Humanité

Le 11 mars, cinq jours avant sa diffusion sur France 5, le film de Christophe Lafaye et Claire Billet faisait déjà grand bruit. Il faut dire que dans le contexte actuel de graves tensions entre la France et l’Algérie et de la polémique suscitée par la suspension de Jean-Michel Apathie, la décision de France Télévisions de le déprogrammer à la faveur d’une soirée spéciale États-Unis/Russie prêtait forcément à débat. Face aux accusations de censure, le service public de l’audiovisuel a rappelé que le documentaire serait disponible sur sa plateforme et l’engagement a été pris de le reprogrammer à l’antenne. Mais pour l’instant aucune date n’a été donnée. Pourtant plus que jamais d’actualité, ce travail de mémoire donne la parole aux témoins de cette histoire méconnue.

Armand Casanova a servi durant deux ans et trois mois dans une Section Armes Spéciales en Algérie. Plus de soixante ans après, il se souvient encore de « l’odeur du gaz et de celle de la mort ». À partir de 1959, la France est confrontée à une montée en puissance de l’Armée Nationale de Libération et a un problème tactique : avec l’usage des souterrains par les combattants algériens, l’armée française va expérimenter puis généraliser l’usage de gaz, des armes interdites par le protocole de Genève (1925), pour tenter de reprendre l’avantage. Cette histoire qui pourrait être caractérisée de crime de guerre reste méconnue. Avec ce film, l’historien Christophe Lafaye, ancien officier réserviste, et la journaliste Claire Billet lèvent enfin le voile sur ce secret d’État : « Une véritable guerre chimique a été menée en Algérie. »

La parole aux victimes

Au terme de l’enquête qu’ils ont réalisée, ils livrent dans ce documentaire les témoignages de soldats français, appelés ou engagés, qui ont été « sapeurs » dans ces Sections Armes Spéciales, chargés de contaminer régulièrement les grottes inoccupées pour les rendre inutilisables et de gazer celles qui sont occupées. L’historien estime qu’entre 5 000 et 10 000 combattants algériens ont ainsi été assassinés. De l’autre côté de la Méditerranée, en Algérie, ils ont retrouvé des victimes de ces attaques chimiques pour leur donner la parole. Amar Aggoun avait 15 ans, Mohamed ben Slimane Labaaci en avait 12, quand le 22 et 23 mars 1959 une de ces sections a gazé la grotte de Ghar Ouchetouh. Ils s’y étaient réfugiés avec d’autres villageois. Ils témoignent du massacre qui a alors eu lieu : 118 personnes sont mortes intoxiquées, eux plus jeunes ont survécu.

En créant ainsi ce pont qui met en dialogue les mémoires, Claire Billet et Christophe Lafaye montrent la voie à prendre pour entamer un vrai travail de réconciliation et de reconnaissance des violences de cette guerre coloniale. Face à l’État Français, qui a ouvert les archives en 2012, pour les refermer en 2019 à la faveur de la crise sur l’interprétation de la réglementation du secret-défense, ils mettent aussi en lumière la difficulté de travailler sur la guerre d’Algérie. Mais des documents inédits sont malgré tout portés à la connaissance du public comme l’autorisation politique, donnée par le gouvernement français, d’utiliser ces armes interdites. Chaque année le massacre de la grotte de Ghar Ouchetouh est commémoré en Algérie.

Algérie, Section Armes Spéciales, france.tv

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Auteur : Scarlett Bain

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Cédric

Depuis 1998, je poursuis une introspection constante qui m’a conduit à analyser les mécanismes de l’information, de la manipulation et du pouvoir symbolique. Mon engagement est clair : défendre la vérité, outiller les citoyens, et sécuriser les espaces numériques. Spécialiste en analyse des médias, en enquêtes sensibles et en cybersécurité, je mets mes compétences au service de projets éducatifs et sociaux, via l’association Artia13. On me décrit comme quelqu’un de méthodique, engagé, intuitif et lucide. Je crois profondément qu’une société informée est une société plus libre.

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