745 civils alaouites tués en trois jours : « Nous pouvons vivre ensemble », martèle le président syrien
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Le Nouvel Obs avec AFP
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Des membres de sécurité du nouveau régime syrien entrent dans la ville à majorité alaouite de Lattaquié, bastion de l’ancien président Bachar al-Assad. Une opération très médiatisée. MOHAMMAD HAFFAR/DEJA VU/SIPA / MOHAMMAD HAFFAR/DEJA VU/SIPA
Ce sont les événements les plus meurtriers depuis la chute du régime de Bachar al-Assad le 8 décembre 2024. « 745 civils alaouites ont été tués dans les régions de la côte syrienne et des montagnes de Lattaquié par les forces de sécurité et des groupes affiliés », en trois jours, selon un dernier bilan de l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH).
Les autorités syriennes ont affirmé œuvrer samedi à « ramener l’ordre » dans l’ouest du pays, ancien bastion du président déchu Bachar al-Assad, où ces violences ont éclaté après plusieurs jours de tensions dans la région de Lattaquié.
Au total, le bilan des opérations du régime et des violences est estimé à 1018 morts, dont 273 combattants (membres des forces de sécurité du régime ou combattants loyaux au clan Assad), selon la même source.
Ces violences sont les premières de cette ampleur depuis la prise de pouvoir le 8 décembre en Syrie d’une coalition rebelle emmenée par le groupe islamiste radical sunnite Hayat Tahrir al-Sham, HTS.
Les obsèques de quatre membres des forces de sécurité du régime, ce samedi 8 mars. OMAR ALBAM/AP/SIPA / OMAR ALBAM/AP/SIPA
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« Unité nationale » ?
Le président syrien, Ahmad al-Charaa, a appelé ce dimanche 9 mars à l’« unité nationale » : « Ce qui se passe dans le pays (…) ce sont des défis qui étaient prévisibles. Nous devons préserver l’unité nationale, la paix civile autant que possible, et, si Dieu le veut, nous serons capables de vivre ensemble dans ce pays autant que possible », a déclaré Ahmad al-Charaa, qui a dirigé la coalition islamiste ayant renversé Assad, lors d’un discours dimanche dans la mosquée du quartier de Damas où il a passé une partie de son enfance.
Le nouveau président syrien, Ahmad al-Chareh, le 4 février. FRANCISCO SECO/AP/SIPA
L’OSDH, basée au Royaume-Uni et disposant d’un vaste réseau de sources en Syrie, pointe pourtant des « exécutions sur des bases confessionnelles ou régionales ». L’agence de coordination humanitaire de l’ONU (OCHA) a pour sa part exhorté samedi les parties à « cesser immédiatement les hostilités et à épargner les civils ».
La France a condamné avec « la plus grande fermeté les exactions qui ont frappé des civils sur une base confessionnelle et des prisonniers » en Syrie et les Eglises syriennes ont dénoncé les « massacres de civils innocents » et appelé « à une fin immédiate de ces actes horribles ».
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« A cinq minutes près, j’aurais été tué… »
Samir Haidar, un habitant de Banyas de 67 ans, a déclaré à l’AFP que deux de ses frères et sa nièce avaient été tués par des « groupes armés » qui sont entrés chez eux, ajoutant qu’il y avait « des étrangers parmi eux ».
« A cinq minutes près, j’aurais été tué… », a-t-il ajouté, précisant qu’il avait réussi à s’échapper dans un quartier sunnite.
Une source du ministère de la Défense citée par l’agence officielle Sana a indiqué que « les routes menant à la région côtière ont été fermées afin de contrôler les infractions, prévenir les exactions et rétablir progressivement la stabilité dans la région ».
L’ordre a été donné aux forces de sécurité de « ramener l’ordre » à Jablé, Tartous et Lattaquié, a indiqué la même source, faisant état de l’arrestation d’un « grand nombre de pillards ».
« Nous affirmons notre engagement total à protéger la paix civile et à garantir la sécurité de tous les citoyens, et il n’y aura aucun laxisme », a affirmé de son côté Moustafa Kneifati, responsable de la sécurité à Lattaquié.
Des images diffusées par Sana montraient samedi ce qu’elle décrit comme un convoi de forces de sécurité entrant à Banyas, dans la province de Tartous plus au sud. L’agence a ensuite rapporté qu’un membre des forces de sécurité avait été tué et deux autres blessés dans une embuscade tendue par des hommes fidèles à Assad dans la région de Lattaquié.
Selon l’ONU, 1,2 million de Syriens de retour chez eux depuis la chute de Bachar al-Assad
300 000 : c’est, selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés (HCR), le nombre de réfugiés syriens qui sont rentrés dans leur pays depuis la chute du régime dictatorial de Bachar al-Assad il y a trois mois. De plus, toujours d’après l’organisme onusien, près de 900 000 Syriens déplacés internes sont aussi retournés chez eux dans la même période. « Au total, 1,2 million de personnes sont revenues » chez elles, en provenance d’autres pays ou d’autres régions de Syrie, depuis le 8 décembre 2024, a annoncé vendredi 7 mars Céline Schmitt, porte-parole du HCR. Dans un précédent bilan transmis le 18 février, Filippo Grandi, le Haut-Commissaire de l’ONU pour les Réfugiés, avait indiqué que « 280 000 réfugiés et plus de 800 000 déplacés à l’intérieur du pays » étaient revenus chez eux depuis que la coalition rebelle dirigée par le groupe islamiste Hayat Tahrir al-Cham avait pris le pouvoir à Damas en renversant Bachar al-Assad. Selon les données communiquées jeudi 6 mars par les autorités d’Ankara, près de la moitié des réfugiés de retour en Syrie viendraient de Turquie, pays voisin où près de 3 millions de Syriens ont fui durant la guerre civile. « Depuis le 8 décembre [2024], plus de 133 000 Syriens sont rentrés volontairement dans leur pays. Comme la stabilité s’installe en Syrie, ce chiffre va augmenter. Nous ne forcerons personne, mais si nos frères et sœurs souhaitent rentrer, nous faciliterons ce voyage », a déclaré le président turc Recep Tayyip Erdogan. D’après le HCR, la plupart des personnes qui avaient fui les combats sont désormais désireuses de rentrer chez elles. Selon une enquête de l’organisme onusien diffusée vendredi, près d’un million de déplacés vivant dans des camps du nord-ouest de la Syrie ont l’intention de retourner dans leurs régions d’origine d’ici l’année prochaine. Parmi eux, au moins 600 000 pensent le faire dans les six prochains mois. Il s’agit toujours de « la plus grande crise de réfugiés et de déplacés au monde », rappelle le HCR. La guerre civile qui a déchiré la Syrie pendant près de quatorze années a entraîné l’exode de plus 13 millions de personnes, à l’intérieur et hors du pays, soit la moitié de la population.
« Déposer les armes »
Le ministre de l’Education, Nazir al-Qadri, a annoncé la fermeture des écoles dimanche et lundi dans les provinces de Lattaquié et de Tartous, selon Sana.
Le rétablissement de la sécurité est le principal défi pour le nouveau pouvoir syrien, après plus de 13 ans de guerre civile. Le président syrien par intérim, Ahmad al-Charaa, a appelé vendredi soir les insurgés alaouites à « déposer les armes avant qu’il ne soit trop tard ».
L’escalade a débuté après une attaque sanglante de fidèles d’Assad contre des forces de sécurité dans la ville de Jablé dans la nuit de jeudi à vendredi, selon les autorités.
Un membre des forces armées du régime, blessé lors de combats ce vendredi 7 mars. MOHAMAD DABOUL / MIDDLE EAST IMAGES VIA AFP
Les forces de sécurité ont envoyé le lendemain des renforts et lancé d’importantes opérations dans la région.
« Fragilité du gouvernement »
Très rapidement, des témoignages sur des exactions contre les civils alaouites, que l’AFP n’a pas été en mesure de vérifier indépendamment, se multiplient sur les réseaux sociaux, émanant de proches ou amis des victimes.
L’OSDH et des militants ont publié vendredi des vidéos montrant des dizaines de corps en vêtements civils empilés dans la cour d’une maison, des femmes pleurant auprès d’eaux. Dans une autre séquence, des hommes en tenue militaire ordonnent à trois personnes de ramper en file, avant de leur tirer dessus à bout portant. L’AFP n’a pas pu vérifier ces images de manière indépendante.
Une source sécuritaire citée par Sana avait fait état vendredi d’« exactions isolées », les imputant à des « foules » agissant en représailles à « l’assassinat de plusieurs membres des forces de police et de sécurité » par des « fidèles à l’ancien régime ».
Selon Aron Lund, du centre de réflexion Century International, la flambée de violences témoigne de la « fragilité du gouvernement », dont une grande partie de l’autorité « repose sur des djihadistes radicaux qui considèrent les alaouites comme des ennemis de Dieu ».
Depuis son arrivée au pouvoir, Ahmad al-Charaa s’efforce de rassurer les minorités et a appelé ses forces à faire preuve de retenue et éviter toute dérive confessionnelle, mais cette ligne n’est pas nécessairement partagée par l’ensemble des factions qui opèrent sous son commandement, selon Aron Lund.
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